Champ libre

De la musique traditionnelle sous influence

Par Nathalie Landreville le 2015/11
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De la musique traditionnelle sous influence

Par Nathalie Landreville le 2015/11

Le trio de musique traditionnelle Tord-Vis faisait paraître il y a quelques mois Le roi des gueux, son premier album. Tord-Vis, ce sont trois musiciens autodidactes, aguerris, passionnés qui parlent avec fougue et un brin de folie de leur travail de recherche et de dépassement créatif. Ils excellent dans l’art de plonger au cœur de la musique traditionnelle pour en faire émerger des accents inattendus. Malgré l’étroitesse de leur sympathique sous-sol de pratique, la vision est large, les influences multiples : Québec, Écosse, Irlande, Bretagne, mais aussi jazz, métal, progressif, brésilien, afro-cubain. C’est après beaucoup d’expérimentation, « une longue trail », comme le dit Jean-Étienne Joubert, que les trois musiciens nous font entendre des rythmes reggae dans une pièce de Douglastown, du violon d’Europe de l’Est sur un reel, des sonorités un peu métal ou africaines sur des airs traditionnels bretons. « Mais ça marche parce qu’on l’a étudié, on a pris du temps. » Si les musiciens partent d’intuitions et de leurs influences musicales, le travail est précis, impose des défis techniques, fait cohabiter nombre d’univers mélodiques. Jean-Étienne Joubert intègre de multiples percussions, tout autres que celles qu’on trouve habituellement dans le trad québécois. « Par contre, il est important qu’on sente encore d’où viennent les pièces. Il faut qu’on voyage avec elles dans le respect d’une transformation. Toutes nos influences viennent juste rajouter une couche dans l’histoire sans faire table rase », explique Robin Servant. « C’est dans l’esprit de la tradition orale où les pièces évoluaient de reprise en reprise », renchérit Charles Tremblay.

Le métissage musical est à la fois étonnant et si travaillé qu’on a parfois l’impression d’entendre des couleurs que la musique traditionnelle portait déjà. Selon Jean-Étienne, le brésilien, l’afro-cubain, l’africain, mais aussi le trad nord-américain et la musique indienne proposent étonnamment certains rythmes semblables sans qu’on puisse remonter le fil de l’évolution. « Au fond, est-ce que c’est parti de quelque part? Est-ce juste des rythmes communs? »

Tord-Vis réunit les univers de trois musiciens : Robin Servant (guitare, accordéon, voix), qu’on a connu dans la Baratte à beurre et qui flirte avec l’improvisation musicale (GGRIL, Brugir); Jean-Étienne Joubert (aux multiples percussions), qui vient surtout du jazz, qui dirige Kalafüba et qui a tourné avec plusieurs formations (Polémil Bazar), et enfin Charles Tremblay (violon, mandoline), issu essentiellement du monde trad, même si La Carriole du Barbu l’avait déjà « travesti » vers des rythmes plus mélodiques.

L’album alterne entre chansons, airs traditionnels et compositions de Robin Servant. C’est aussi Robin qui assure la collecte des textes : « C’est un défi de trouver des textes qui correspondent à des sensibilités qu’on a encore aujourd’hui. » Tord-Vis imprime aux chansons des ambiances plus mélodiques que ce qu’on trouve habituellement, on découvre des « habillages différents » largement inspirés des textes.

Parmi les moments percutants de l’album, il faut entendre « La belle Catherine » : si l’ancrage demeure le reel québécois, on voyage à travers des percussions jazz, des sons bulgares, folk, pour retomber à point dans « La belle Catherine » maquillée de nouvelles sonorités. C’est d’ailleurs une des premières pièces que le groupe a « recréée » : Jean-Étienne ayant depuis longtemps imaginé ce reel du violoneux saguenéen, Louis « Pitou » Boudreault, traversé de rythmes originaux. Le travail autour de cette pièce a d’abord réuni Jean-Étienne, Robin et Christophe Ingrand, flûtiste et grand voyageur, que Charles Tremblay a par la suite remplacé. Après avoir découvert la version « tordue » de « La belle Catherine », on ne peut plus entendre cet air sans espérer voir surgir le jeu de percussions qui pousse la pièce dans un dynamisme tout à fait surprenant.

S’il y a un grand plaisir à découvrir la musique de Tord-Vis sur disque ou sur tord-vis.bandcamp.com, en spectacle, le plaisir est démultiplié. Entendu à la fête du village de Saint-Valérien, une municipalité qui, comme Tord-Vis, cherche à se renouveler sans rompre avec la tradition, Le roi des gueux, qui a la capacité d’émouvoir et de dynamiser la foule, a nourri nos racines.

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