Champ libre

Un journal et 10 ans de spectacle!

Par Annie Landreville le 2015/09
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Champ libre

Un journal et 10 ans de spectacle!

Par Annie Landreville le 2015/09

Ma prose fréquente les pages du Mouton Noir depuis 1997, quelques mois après mon arrivée dans la région. Comme un couple en relation libre, on se fréquente depuis longtemps, même si je vais régulièrement voir ailleurs. Je reviens cependant toujours à la Bergerie, certaine d’y trouver un espace pour la curiosité et la liberté de ma plume.

Le Mouton Noir a vu le jour le 29 mars 1995. Le premier numéro est paru le jour même de l’anniversaire de celui qui est non seulement son fondateur, mais qui a aussi été son rédacteur en chef et homme à tout faire, Jacques Bérubé. Je l’ai rencontré pour qu’il me raconte la naissance du journal, question de mettre ensemble les morceaux que j’avais glanés ici et là au fil des ans.

C’est pour contrer la complaisance ambiante de la presse régionale qu’il a tout d’abord pensé à fonder un journal, un peu comme une boutade :

Jacques Bérubé : J’étais allé porter un texte de deux pages au journal local, et on l’a refusé parce qu’il était trop long. En sortant, je me suis dit : « Je vais m’en partir un journal pour publier mes textes. » Je lance ça dans un souper entre amis, et plusieurs voulaient embarquer. J’ai foncé, me disant que puisque d’autres que moi y croyaient, ça devait être faisable!

M. N. : Contrairement à la rumeur populaire, ce n’est donc pas expressément pour faire avancer le dossier de la salle de spectacle qu’on a lancé Le Mouton?

J. B. : Non, mais dès le deuxième numéro, on a fait un dossier sur le projet de salle de spectacle, qui faisait déjà parler depuis une bonne vingtaine d’années. Et oui, on a eu une influence. Ça faisait des années que le groupe de presse Bellavance, et pas mal de monde, était contre ce projet, sauf le journaliste Laurent Leblond. Depuis le milieu des années 1970, le centre civique était désuet. Comme tous ceux qui se sont impliqués au Mouton au début venaient du milieu culturel (Eudore Belzile,
Denis LeBlond, Marie Bélisle, Pascale Gagnon, etc.), on peut dire que ce dossier qui n’avançait pas, c’était un irritant majeur. Ce deuxième numéro a été très motivant. Il y avait eu beaucoup de consultations et de débats, mais là où on a eu une influence, c’est qu’à partir du moment où Le Mouton a été là, les journalistes des autres médias ne pouvaient plus dire n’importe quoi. Parce qu’on pouvait répondre.

M. N. : Il y a toujours eu, il me semble, un souci de la qualité de la langue et de l’opinion informée, mais il n’y avait pas de journalistes au Mouton, au départ.

J. B. : Le ton « Mouton » était là. Nous avions tous une même façon de voir les choses, et Eudore et Denis avaient la plume bien acérée! Et non, il n’y avait pas de journalistes. Celui qui est devenu le plus journaliste là-dedans, c’est moi! Je suis devenu rédacteur en chef par la force des choses. Au début, je signais : directeur de la publication et camelot, parce que je faisais la livraison avec ma voiture. Dès le premier numéro, j’avais fait un dossier sur le quartier du Rocher blanc à Rimouski. J’avais eu trois mois pour faire mon article. On a eu le luxe de pouvoir prendre notre temps pour monter les dossiers. À partir de 1997 cependant, on a eu de vrais journalistes, des gens comme François Forest et Denis Labreque, qui ont apporté beaucoup au contenu du journal. François et moi, on écrivait tellement d’articles, qu’on en signait même avec des pseudonymes!

Plus personne de l’équipe originale n’est encore là. En 20 ans, plusieurs ont choisi d’autres voies. Au fil des ans, on a lu des correspondants en région à… Montréal, en Abitibi, en Estrie et à Paris. Mais outre Jacques Bérubé, celui qui détient le record de longévité et de régularité au Mouton, c’est Pierre Landry, qui est en route pour battre le record d’assiduité du fondateur. Un autre qui est resté jusqu’au bout, c’est le regretté Michel Labrie, qui partageait sa passion pour la bande dessinée. Comme tous ceux qui y ont travaillé, Jacques Bérubé n’a jamais compté ses heures. Mais son bébé aurait pu lui coûter cher.

Dans les deux ou trois dernières années, j’ai fait au moins 25 heures de bénévolat par semaine et j’avais assumé personnellement les dettes du journal. On avait eu des subventions et augmenté la qualité, mais quand les subventions ont été épuisées, on ne voulait pas revenir en arrière, on voulait garder la même qualité. C’est là que Le Mouton s’est endetté. Je suis parti quand les dettes ont été réglées. C’est Harold LeBel, qui était attaché politique à Québec, qui a sauvé Le Mouton à ce moment-là en trouvant des fonds.

Le journal a fait le pont entre Rimouski et Montréal, où il était distribué et cité en exemple dans les milieux universitaires et où il était très apprécié dans les milieux culturels plus alternatifs. Même que dans mes premières années à Radio-Canada, je recevais plus de services de presse pour Le Mouton que pour mon travail à la radio.

M. N. : Est-ce qu’il y a une culture Mouton Noir?

J. B. : Oui, je crois qu’on peut dire ça. On a eu de grands alliés, comme Richard Desjardins, qui a fait des spectacles pour nous. Maxime Catellier a publié ses premiers poèmes au Mouton, il avait à peine 15 ans. Le journal avait un côté plus intellectuel qu’un journal satirique comme Le Couac par exemple, et quand on faisait des dossiers, on partait toujours du local pour développer un sujet.

M. N. : Quel regard on jette sur un journal dont on est le fondateur quand on le quitte et qu’on voit se succéder les rédacteurs en chef qui tiennent le coup parfois seulement quelques mois parce que le travail est énorme?

J. B. : Je n’ai jamais joué à la « belle-mère » avec Le Mouton. J’ai toujours regardé les choses en observant les différentes couleurs apportées par les rédacteurs en chef. Avec Michel Vézina, c’était plus littéraire, Isabelle Girard a apporté une rigueur universitaire au journal et, aujourd’hui, Marc Simard donne un ton plus journalistique. Le rôle social du Mouton a changé. Je lis attentivement le cahier Champ libre, les chroniques de Pierre Landry et de Christine Portelance, mais le journal a moins d’impact qu’il y a 20 ans, il suscite moins de débats, peut-être parce que les dossiers sont plus généralistes. On parlait de journal communautaire à l’époque, et il y a un mot, une expression qui n’existait pas à ce moment-là, mais qui définit bien ce que Le Mouton Noir est devenu : c’est un journal citoyen.

 …et les 10 ans de la salle de spectacle!

En 1995, après une longue bataille et un référendum, il a fallu rassurer le citoyen sur le nombre de places de stationnement disponibles au centre-ville. C’était Armageddon aux portes de la Cathédrale. Je me souviens qu’un pourfendeur du projet se demandait où l’on allait mettre tout ce monde si jamais il y avait une messe importante en même temps qu’un grand spectacle. Mettons qu’en général, ces événements ne partagent pas les mêmes fuseaux horaires. Que de bêtises du genre ont fait couler l’encre et pris du temps d’antenne… Dix ans et un incendie plus tard, on retrouve un autre Jacques, celui-là à la direction de cette salle de spectacle.

Jacques Pineau : J’étais directeur de Spect’Art depuis 1991 et Le Mouton Noir a été un catalyseur d’opinion, une voix que les médias traditionnels n’avaient pas prise. Je salivais quand je voyais arriver les articles du Mouton qui disaient ce que tout le monde pensait! Le journal a changé la donne à Rimouski. C’est assez drôle de voir que c’est Jacques Bérubé qui a fait le texte du programme inaugural de la salle de spectacle! Mais ça veut dire que la Ville reconnaissait le travail fait par ce journal.

M. N. : Qu’est-ce que la construction de la salle de spectacle a changé pour Spect’Art et pour le milieu culturel?

J. P. : Avant, on travaillait avec huit lieux de travail et de diffusion : des salles, des bureaux, la billetterie. C’était devenu très compliqué. Avec la nouvelle salle, Spect’Art a aussi pu présenter des spectacles dont on rêvait : comédies musicales, cirque, productions du TNM. On a développé une expertise et on a professionnalisé nos équipes.

M. N. : Du défunt centre civique, rebaptisé « chancre civique » dans ses dernières années, on se souvient du plâtre qui tombait du plafond pendant un spectacle de Daniel Bélanger et des caisses de lait en plastique qu’on mettait sous certains bancs qui tenaient mal, ainsi que des chics sièges recouverts de duct tape. Et aujourd’hui?

J. P. : Plusieurs artistes nous disent qu’on a une des dix plus belles salles au Québec. Les organismes comme l’Orchestre symphonique de l’Estuaire, l’ensemble Antoine-Perreault ont aussi trouvé une scène professionnelle, et depuis qu’on a une fosse d’orchestre fonctionnelle et polyvalente, on a réglé les problèmes d’acoustique et on a pu présenter plusieurs spectacles intimes et de la relève avec la formule Espace-Scène. C’est comme ça qu’on peut faire du développement et travailler avec le Festi Jazz ou Tour de Bras. La salle est occupée à 100 %, dans tous ses espaces. Le public est de nouveau au rendez-vous et il est fidèle. Bon an mal an, on rejoint 50 000 personnes. Pour moi, la salle est devenue une pierre angulaire de la qualité de vie à Rimouski. On investit présentement pour s’équiper en technologies numériques, avec des projecteurs haute définition et de la fibre optique, ce qui nous permettra de diffuser, cet automne, un concert en simultané avec la France. On veut rester à la fine pointe des développements.

M. N. : Et le stationnement?

J. P. : Je n’ai eu qu’une seule plainte en huit ans!

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