
Dans cette section, le rédacteur en chef du Mouton Noir, Marc Simard, partage avec les lecteurs ses coups de gueule, des textes coup de cœur de collaborateurs et encore plus…
Cette semaine, Marc vous offre le texte de Nathalie Lewis de Rimouski.
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Les signaux sont de plus en plus audibles. Notre développement actuel affecte durablement l’habitacle naturel et géologique qui abrite notre humanité. Et la situation ne va guère s’améliorer. Les sources de perturbations anthropiques (dont nous sommes la cause) accélèrent artificiellement les transformations naturelles. Depuis un peu plus de 40 ans, nous avons pris conscience de ces liens forts entre l’humanité et les facteurs biophysiques. Nous sommes passés de la reconnaissance de pollutions ponctuelles dont nous serions à l’origine, à une réalité plus englobante que nous nommons désormais, l’environnement. « Nous », c’est-à-dire la société régie par des règles communes, lesquelles, en matière d’environnement, doivent beaucoup aux réactions de l’opinion publique. Une opinion publique capable de faire pression, de mettre à l’agenda des autorités publiques des enjeux de société et des enjeux environnementaux de plus en plus nombreux, mais pas nécessairement monolithiques. Problèmes d’emploi, de logement, de santé, d’éducation, pour ne reprendre que les enjeux classiques, jamais stabilisés, se pressent au portillon. S’y ajoutent des besoins de reconnaissance, de sociabilité, de diversité et… cette nécessité de vivre dignement, voire, loin d’être un luxe, agréablement!
Notre société démocratique devient un véritable colloque où se fait entendre un concert d’opinions, de voix multiples et parfois divergentes. Pour être entendues, pour prendre force et appui en un son cohérent, ces voix doivent être portées par le plus grand nombre dans la cohérence. Inévitablement, elles rencontrent de très nombreuses difficultés : les enjeux sont multiples. Faut-il les hiérarchiser? Que prioriser? L’emploi, l’éducation, l’environnement, les causes proches, les causes lointaines? Comment statuer sur l’importance d’une cause?
À ce titre, la cause environnementale est préoccupante et englobante pour ses défenseurs et devrait mobiliser le plus grand nombre. L’enjeu est immense, d’autant qu’il s’inscrit sur une temporalité qui aura des répercussions non seulement sur notre génération, mais sur celles qui nous suivront…
C’est d’ailleurs un des messages qu’est venu nous livrer Zachary Richard1 en s’appuyant sur les leçons à retenir de la catastrophe survenue sur la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, dans le golfe du Mexique en 2010. Au-delà des souillures, au-delà des pertes, l’importance de la conscientisation et de la mobilisation de l’opinion publique ressortait des leçons partagées. Une opinion publique qui doit être active bien avant les « catastrophes ». Le message était clair. Aujourd’hui, il est question de développement québécois dans le golfe (et ailleurs) autour des hydrocarbures. Cette question nous concerne tous, tous doivent se mobiliser!
À l’écoute de cette plaidoirie, en voyant les profondes cicatrices laissées sur le territoire touché, il est difficile de ne pas en partager les vues. Les propos de Zachary Richard nous y conduisaient. Mais la poursuite des objectifs des uns n’emprunte pas nécessairement le même chemin que celle des autres. Différents objectifs, différents enjeux. Ces enjeux sont certes l’environnement, mais ils prennent aussi d’autres formes, sans oublier tous ceux qui traversent le quotidien, il y en a tant… Et quel que soit le chemin que l’on emprunte, quel que soit le « fil » que l’on tire, on se rend compte des liens étroits qui les relient. Pas de préoccupation environnementale qui ne rejoigne à moyen terme des enjeux de société, d’éducation, de santé, etc. Autant d’enjeux qu’il est inutile de hiérarchiser. Le propre d’une société libre et démocratique étant d’impliquer la discussion, le débat, le consensus, mais également la dissension.
On peut certes être convaincu de l’importance, de l’urgence, voire de la « justesse » de certaines causes. Mais depuis près de 40 ans, les mobilisations collectives restent souvent sectorielles, adossées à des enjeux précis. Les mouvements environnementaux se battent pour l’environnement, les mouvements sociaux, pour la justice sociale – je simplifie bien sûr. On peut se demander, au bout du compte, si l’on en sortira gagnant collectivement, si l’on aura progressé en termes de qualité de vie. La question mérite d’être posée. Au quotidien, des familles se retrouvent dans des situations de précarité qui vont en s’aggravant. Des enjeux sociaux ou géopolitiques alimentent la vie quotidienne. Vie quotidienne qui se joue aussi autour des services de garde, des écoles, des soins de santé, là où se déclinent la vie des gens et leurs préoccupations de tous les jours.
On peut certes gloser et se dire qu’il faut éduquer et montrer ce que sont les « vraies » causes, mais on retombe alors dans ce jeu de la mise en concurrence et du plus fort. Généralement, ces projets, comme celui lié aux hydrocarbures ou ceux plus larges touchant l’extraction des ressources naturelles, se positionnent sur des territoires mieux dotés en ressources naturelles qu’en poids démographique. Nous comprenons que pour s’opposer, voire simplement pour être entendus, il importe de faire le poids. Pour faire contrepoids et se faire entendre, il faudra l’appui non seulement des populations et utilisateurs directs du golfe, mais des communautés limitrophes, de ceux des hauts pays (elles-mêmes prises avec des enjeux socio-économiques qui ne peuvent être balayés du revers de la main et qui ne sont pas secondaires!). Peut-on faire se rejoindre enfin les mobilisations collectives afin de pouvoir s’assurer ensemble d’un avenir « vivable »? Pour être forts, ne faut-il pas s’écouter, argumenter et partager autour d’un chapelet d’enjeux collectifs afin que la mobilisation reflète encore plus solidement l’action collective de ses habitants?
Notre planète est sollicitée, avant de baisser les bras et de rêver à d’autres galaxies, peut-être faut-il changer notre façon d’aborder notre « vivre ensemble » et repenser la mise en dialogue de la diversité de nos causes et de nos propres attentes.
- Conférence de Zachary Richard, Le pétrole dans le golfe du Mexique. La marée noire, 5 ans plus tard, UQAR, 23 juillet 2015.
Réunis contre l’exploitation pétrolière
Le 23 juillet dernier, les communautés autochtones et les pêcheurs de l’Est du Canada s’unissaient pour réclamer une étude d’impact environnementale complète. De plus, le secrétariat responsable des dossiers liés aux ressources naturelles au sein des différentes communautés mi’gmaq de l’Est du Canada demande un moratoire de 15 ans afin que soient connues avec précision les particularités d’un golfe dont on sait encore peu de choses. Cette mobilisation forte rejoint celle déjà amorcée par le regroupement « NON à une marée noire dans le Saint-Laurent » lui-même associé à des mouvements plus larges « Coule pas chez nous » et « Regroupement Vigilance hydrocarbures Québec », pour ne mentionner que ceux-là… C’est la base d’une mobilisation audible pourtant…
…Pourtant. Nous serons aussi forts collectivement quand la rencontre et le dialogue avec d’autres mouvements sociaux et sectoriels se feront spontanément. « Touche pas à ma région », comité logement, action chômage, action bénévole, regroupement agricole et forestier, comités étudiants… Soyons fous! Soyons ensemble!