Non classé

Une région tricotée serrée

Par Catherine Berger le 2015/07
Image
Non classé

Une région tricotée serrée

Par Catherine Berger le 2015/07

En 2009, après un séjour de quelques mois en Afrique, j’atterrissais lentement chez moi, à Québec, où je réprimais mes envies de me mettre à discuter gaiement avec des inconnus dans l’autobus, comme je l’aurais fait à Katibougou ou Bamako. Heureusement, le code d’éthique urbain qui veut qu’on ne s’adresse à l’autre qu’en cas d’ultime nécessité n’est pas universel! Peu de temps après mon retour au pays, les hasards de la vie m’ont amenée à m’installer à Matane. Et contre toute attente, je suis tombée sous le charme, celui discret d’une ville industrielle et créative, qui sent bon les embruns du large. Mais surtout, sous le charme d’un endroit où il est permis — voire vivement encouragé — de fraterniser avec l’autre. J’y ai planté mes racines, convaincue que les petites localités détiennent une richesse peu accessible aux centres urbains : cette sympathique « informalité » qui pousse aux rencontres.

Mais même la solidarité a un revers à sa médaille. Sur le plan du lien communautaire, il faut bien dire que cette belle cohésion se traduit aussi par des réseaux déjà formés, au sein desquels il n’est pas toujours aisé de faire sa place. Dans un tissu social tricoté serré, où s’insérer? Une jasette conviviale, d’accord, mais ensuite? « Les gens t’accueillent volontiers, mais ne t’adoptent pas pour autant. C’est un travail de longue haleine », m’a fait remarquer Cyrille Wandji, installé à Matane depuis 8 ans.

Passer d’une conversation à la boulangerie avec un sympathique inconnu à l’intimité de la cuisine d’un ami, tel est le défi du nouvel arrivant. C’est pour cette raison qu’un an après mon retour en région, en 2010, je me joignais à deux amis pour former Rézo Matanie, une plateforme de réseautage destinée à créer des liens entre nouveaux arrivants et autres Mataniens. Marie-Claude Soucy, originaire de Matane, s’y réinstallait, après plusieurs années passées à l’extérieur. Cyrille, Camerounais, s’ancrait progressivement dans la région à travers le bénévolat. Quant à moi, née à Rimouski, j’étais à ce moment surtout nostalgique de la rue Saint-Jean, de son épicerie bio et des bars de quartier de la capitale où j’avais étudié. Nous étions trois, avec trois parcours distincts et une ferme volonté de participer à rendre notre nouveau milieu encore plus accueillant. « Il fallait trouver davantage de prétextes, d’occasions de rencontres », raconte Marie-Claude. « Et pas seulement au bénéfice des nouveaux arrivants : pour l’ensemble de la communauté, qui s’enrichit de cette diversité. » Des « prétextes » tels que des ateliers de cuisine le dimanche, une sortie d’initiation à l’ornithologie ou des potlucks multiculturels baptisés « cabanes à palabres ». Autant d’activités qui permettent d’aller au-delà des conversations sur la météo.

Cinq ans plus tard, l’idée a fait du chemin. Je suis responsable du Service d’accueil des nouveaux arrivants, qui vient s’ajouter à l’offre de service de ma collègue Marie-Claude devenue agente de migration pour Place aux jeunes. Et Cyrille, bénévole dévoué, est toujours là avec son aisance à faire le pont entre les gens. Ensemble, nous avons imaginé un « Rézo » plus complet. En plus de Rézo Matanie pour la programmation d’activités, il y a désormais le Rézo des parrains et marraines, un projet de jumelage, et le Rézo J’aime La Matanie, qui met à contribution les ambassadeurs naturels de la région pour promouvoir sa tradition d’accueil. Il n’y a là rien de révolutionnaire… et pourtant si, un peu. Travailler à attirer, à accueillir et à retenir de nouveaux citoyens en région, alors que le gouvernement s’acharne à ne voir le développement que dans les grands centres urbains, ça prend une certaine dose d’idéalisme.

Voilà donc l’histoire d’un projet qui parle d’accueil et d’ouverture. Mais chez moi, des projets, il y en a des milliers. J’aime ma région parce qu’envers et contre tout, elle invente, elle innove. Elle élabore des projets petits et grands qui nous tricotent des racines, qui nous bâtissent une fierté. « Personne ne reste à un endroit lorsqu’il ne se sent pas y appartenir », me répète Cyrille. La semaine précédente, il devenait propriétaire d’une coquette maison à Petit-Matane. Il y a déjà installé son bureau avec vue sur la mer, d’où il va finaliser un manuscrit qui raconte son histoire d’intégration. Trois amis, trois parcours très différents, mais une certitude : qu’on vienne de la ville voisine ou du bout du monde, nos initiatives tissent des solidarités qui ancrent.

Partager l'article

Image

Voir l'article précédent

Faire « germer » une communauté

Image

Voir l'article suivant

L’autonomie municipale et régionale