
En cette période de renouvellement de la politique énergétique québécoise, nous souhaitons ici formuler une réponse objective à la critique entendue dans les médias concernant les coûts de la filière éolienne et sa pertinence dans un contexte de surplus électriques anticipés par Hydro-Québec. L’énergie éolienne revient-elle trop chère au consommateur québécois? La poursuite de son développement est-elle souhaitable dans le contexte de surplus électriques actuels? Plus généralement, comment réaliser des choix énergétiques stratégiques plus éclairés au Québec? L’argumentaire développé ici s’appuie sur les résultats d’une thèse récemment soutenue à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), relatant justement ce que pourrait être une politique éolienne durable et acceptable1.
Les coûts de l’énergie éolienne
Depuis 2013, Hydro-Québec, ainsi que des groupes de pression anti-éoliens, dont l’Union des consommateurs, l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité, ainsi que la Coalition Avenir Québec, imputent au seul développement de la filière éolienne le fardeau de l’augmentation des coûts d’électricité. Il est vrai que l’électricité post-patrimoniale produite au Québec, via l’énergie éolienne ou l’hydroélectricité, reviendra plus chère à produire que les barrages construits sur la baie James dans les années 1960-1970. Cependant, on ne peut plus comparer les coûts marginaux du développement de ces nouveaux projets d’infrastructures avec des coûts de production qui appartiennent au passé. Au Québec, le dernier appel d’offres éolien est sorti à 6,3 ¢/kWh en 2014. Ces coûts sont nettement moins élevés que ceux du projet de La Romaine, actuellement en construction, évalués en 2009 par Hydro-Québec à 9,2 ¢/kWh (transport non inclus). Autrement dit, les opposants à l’énergie éolienne omettent de dire que le projet de la Romaine revient maintenant plus cher au consommateur que la filière éolienne; ils passent aussi sous silence le fait que le projet Romaine contribue à lui seul à près de la moitié des surplus électriques anticipés. Le contresens historique et médiatique semble évident : en concentrant la polémique sur les coûts de la filière éolienne, on fait diversion et on ne met pas suffisamment en évidence les questions qui devraient réellement faire l’objet du débat sur l’énergie. En plus du choix entre énergie éolienne et hydroélectricité, celui-ci devrait d’après nous porter sur l’utilisation optimale de nos surplus électriques, cette richesse collective que toute la planète nous envie, et sur l’usage des avoirs propre d’Hydro-Québec.
Des surplus électriques, mais un déficit énergétique
Les opposants à l’énergie éolienne s’interrogent sur la poursuite du développement de cette filière énergétique dans un contexte de surplus électriques, surtout que, selon eux, l’électricité est vendue à perte sur les marchés d’exportation. Mais, est-ce réellement le cas quand on voit qu’Hydro-Québec Production annonçait en 2014 des profits annuels de 814 millions de dollars sur ces marchés, et ce, grâce à la vente de 25,4 TWh d’exportations nettes? Il n’y a pas unanimité sur l’avenir de l’énergie éolienne dans ce contexte. Certains répondants à mon enquête doctorale croient bon de ne plus implanter d’éoliennes tant que nos besoins ne le justifieront pas de nouveau. D’autres, majoritaires, estiment que la filière éolienne garde sa pertinence à court et moyen terme si l’on trouve des débouchés à l’électricité produite, que ce soit sur le marché intérieur ou sur les marchés plus risqués à l’exportation.
Pourquoi ne pas se servir des surplus électriques pour réduire notre dépendance complète aux hydrocarbures, quitte à accepter une augmentation graduelle et contrôlable des coûts d’électricité que cette substitution pourrait impliquer? En comparaison, nous ne contrôlons pas les prix des ressources fossiles dont nous dépendons, alors qu’ils sont très volatils sur le marché mondial. D’ailleurs, au Québec, le tiers de nos importations est lié au transport. Ces importations nous ont coûté plus de 26 G$ en 2012, soit l’essentiel du déficit commercial de 30 G$ à l’international. De plus, on est dépendant à 98 % de cette ressource dans le secteur des transports et plusieurs ménages continuent de se chauffer au mazout. Un choix de société est donc à faire : préférons-nous exploiter les gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, transporter du pétrole par train ou par pipeline sur notre territoire, exploiter les hydrocarbures marins ou terrestres en Gaspésie, à Anticosti ou aux Îles-de-la-Madeleine OU continuer le développement de la filière éolienne, des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique? Pour aller dans le même sens que le manifeste Élan global, le Québec ne s’est-il pas doter de cibles à atteindre en termes d’indépendance énergétique? Étant donné le paradigme de l’austérité du gouvernement Couillard, le statu quo est à notre avis impossible, car les solutions existent. Il suffit de vouloir les appliquer. Par exemple, on dispose de joueurs économiques, d’expertises mondialement reconnues dans le domaine de l’électricité et des transports, dont Bombardier et Hydro-Québec. Ces deux acteurs ne pourraient-il pas s’associer pour élaborer un plan ambitieux d’électrification des transports, dont le monorail ferait partie?
De plus, comme le marché à l’exportation demeure intéressant pour Hydro-Québec, le Québec pourrait chercher à devenir le poumon vert de l’Amérique du Nord pour limiter le recours au charbon, aux gaz de schiste ou aux centrales nucléaires en Ontario et aux États-Unis. En fait, l’utilisation des gaz de schiste aux États-Unis a fait baisser les prix de vente de l’électricité, baisse consécutive aussi à la réduction de la demande en électricité depuis la crise économique de 2008. Or, la durée d’exploitation effective d’un puits de gaz de schiste est de quelques années seulement, car la décroissance du gisement est exponentielle et il ne devient alors plus économiquement rentable de continuer son exploitation (il faut aller forer ailleurs et plus souvent). Cette situation de faibles prix à l’exportation risque donc d’être conjoncturelle. D’ailleurs, le bénéfice net record d’Hydro-Québec Production en 2014 montre que cette stratégie d’exportation se révèle encore payante aujourd’hui.
En résumé, l’utilisation optimale de nos surplus électriques en termes de développement collectif et social doit être davantage discutée sur la scène publique. Cette situation « unique au monde » demande de « penser autrement », de développer une politique (et une vision) énergétique innovante qui ne repose pas exclusivement sur la continuité d’une exploitation des ressources naturelles, dont le Plan Nord V2.0 et l’exploitation des hydrocarbures seraient les principales pièces maîtresses.
Des arguments territoriaux à prendre aussi en considération
Même si ce n’était pas le cas au début de son implantation, l’énergie éolienne est maintenant devenue un outil de développement économique régional, notamment grâce aux élus municipaux de l’Est-du-Québec qui ont fini par prendre en charge son développement en partenariat avec le secteur privé. En plus des loyers payés aux propriétaires fonciers et des redevances aux collectivités, 30 à 50 % des bénéfices des parcs restent maintenant dans l’économie régionale, ce qui génère des revenus non négligeables dans un contexte de centralisation et de coupes dans les budgets régionaux. Cela explique certainement pourquoi les projets du troisième appel d’offres communautaire n’ont été que peu critiqués au niveau local et la plupart n’ont même pas été soumis au BAPE, faute de demande pour cela4. Gaspé et Matane n’auraient pas non plus le même dynamisme économique sans les 800 emplois industriels de la filière industrielle éolienne créés en Gaspésie et dans la MRC de Matane. L’énergie éolienne a servi de renouveau économique après l’épuisement du poisson de fond, la crise forestière et les fermetures d’usines qui ont durement frappé ces territoires au début des années 2000. Il faut tenir compte de la problématique industrielle et territoriale dans l’avenir de la filière éolienne. D’ailleurs, l’industrie réclame un doublement de la capacité installée pour l’après-2015, de façon à lui assurer une taille suffisante sur le marché intérieur et lui permettre d’attendre le « repowering » des premiers parcs installés 20 ans plus tôt. Un groupe de travail a été créé sur cette question : il sera intéressant de voir quelles seront ses recommandations.
Pour des décisions énergétiques stratégiques plus transparentes
La critique contre la filière éolienne me semble largement imméritée. Il y aurait place à plus de discernement et à des débats plus éclairés sur les questions énergétiques au Québec, les principaux problèmes étant de nature réglementaire, législative et structurelle.
Depuis la loi 116 adoptée en 2000, la Régie de l’énergie n’a plus de pouvoir de régulation concernant la production et les exportations d’électricité, ce qui a pour effet de séparer le cadre d’autorisation relié à la filière hydroélectrique de celui relié à l’éolien. Cette loi était d’ailleurs contraire aux conclusions du débat public sur l’énergie qui a eu lieu en 1995. Les choix énergétiques stratégiques sont devenus depuis lors une chasse gardée du gouvernement et d’Hydro-Québec, repolitisés et plutôt arbitraires, car soumis à l’influence des lobbies. C’est comme si un pouvoir monopoliste, mal régulé, introduisait des préjugés en faveur des filières traditionnelles et au détriment d’une comparaison équitable entre les différentes filières énergétiques. Par exemple, pourquoi trois projets d’investissements hydroélectriques (dont La Romaine et Petit-Mécatina) doivent-ils se réaliser dans le contexte de surplus électriques actuel sans examen préalable des coûts d’opportunité, des risques commerciaux et tarifaires et des autres solutions possibles? Ces projets correspondent à près de 40 G$ engloutis presque sans débat public. En parallèle, Hydro-Québec continue d’imputer à l’éolien seul la hausse des coûts de la facture énergétique. Or, n’est-ce pas des mécanismes comptables et financiers qui biaisent la tarification de l’électricité sur le marché intérieur tout en faisant de l’éolien un parfait bouc émissaire? Hydro-Québec ne devrait-elle pas dorénavant privilégier la filière éolienne pour tous ses nouveaux projets d’envergure, étant donné la plus grande compétitivité de cette filière lorsqu’on compare des projets « comparables »?
Il ne peut y avoir de politique énergétique acceptée socialement sans évaluation durable des projets ou de ces mêmes politiques. Or, nous sommes actuellement bien loin d’une planification intégrée des ressources énergétiques. Avec la forte influence médiatique et politique d’Hydro-Québec, il est difficile d’obtenir de l’information objective sur les coûts de production des différentes technologies à volume comparable. Nous demandons donc un changement dans les manières de procéder, notamment par la création d’un arbitre indépendant apte à analyser les enjeux énergétiques sur les plans du transport, de la distribution, de la production et de l’exportation d’électricité, et la tenue d’un débat public éclairé apportant une information juste et complète, préalable à l’élaboration de toute politique énergétique.
Si vous voulez en savoir davantage sur la manière de mieux arrimer politique énergétique et développement durable, nous vous convions au colloque 406 du 83e congrès de l’ACFAS qui se déroulera au Cegep de Rimouski le 25 mai 2015 à partir de 9h dans la salle F108.
- Évariste Feurtey : « Conception et validation d’un modèle d’analyse et de suivi pour une politique durable et acceptable de l’énergie éolienne – une étude comparative France Québec », Thèse de doctorat en sciences de l’environnement, UQAR, 2014, 660 p.