Au printemps 2012, le gouvernement libéral de Jean Charest adoptait la Stratégie pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires et la loi du même nom : « Notre gouvernement s’engage résolument à l’occupation et à la vitalité de chacun des territoires du Québec. Nous entendons y travailler de concert avec les instances qui interviennent sur les territoires. Le Québec, nous voulons l’habiter, nous y épanouir et y prospérer. […] Qui plus est, il est de notre intention, comme le propose la Stratégie, de faire de l’occupation et de la vitalité des territoires un grand projet de société. » (Mot de présentation du premier ministre Jean Charest).
Les premiers articles de la loi précisent « qu’il est opportun d’inscrire l’occupation et la vitalité des territoires comme priorité nationale et d’en faire un projet de société à part entière; […] que cette nouvelle ambition pour les territoires appelle une approche renouvelée pour appuyer de façon cohérente le dynamisme et les aspirations des collectivités; […] Dans le cadre des mesures proposées, « l’occupation et la vitalité des territoires » s’entend de la mise en valeur des potentiels de chaque territoire, dans une perspective de développement durable, résultant de l’engagement et du dynamisme des citoyens, des élus et des acteurs socioéconomiques ».
En mai 2014, le premier ministre Philippe Couillard, nouvellement élu, déclarait dans son discours inaugural : « Nos régions, nos milieux ruraux seront également synonymes de modernité. Nos paysages sont magnifiques et nous convions les Québécoises, les Québécois et celles et ceux qui viendront d’ailleurs à les contempler. Mais au-delà de la carte postale, il y a des communautés, des familles qui y vivent, des jeunes qui veulent y revenir. Des régions qui, elles aussi, revendiquent leur part d’espoir. »
Le 4 novembre dernier, le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire, aussi responsable du développement régional et de la ruralité, monsieur Pierre Moreau, annonçait l’abolition des CRÉ et des CLD, leur mission étant désormais confiée aux MRC avec des budgets réduits de 55 %. Dans la foulée de ces coupes, il amputait de 300 M $ les transferts aux municipalités, retirait le financement accordé à Solidarité rurale, signifiant du coup sa mise à mort, abandonnait la Politique nationale de la ruralité en vigueur depuis 2001 et remettait en cause les carrefours jeunesse-emploi. Ces décisions étaient prises précipitamment, sans consultation ni étude d’impact, dans le cadre d’un ensemble de mesures visant à assurer le redressement des finances de l’État et le retour à l’équilibre budgétaire.
Couillard, Coiteux et Moreau renouent avec les recommandations du rapport Higgins, Martin, Raynaud de 1971, lequel considérait Montréal comme la locomotive économique du Québec devant être l’objet de toutes les attentions
La table était mise pour une déclaration déconcertante du président du Conseil du patronat, M. Yves-Thomas Dorval, en commission parlementaire sur le projet de loi 28 le 29 janvier. Il invitait « le gouvernement à réallouer une partie des budgets actuellement consacrés au maintien des municipalités dévitalisées vers des mesures facilitant la relocalisation des ménages qui y habitent ». Quelques jours plus tard, soit le 2 février, le ministre Pierre Moreau annonçait que son gouvernement ne renouvellerait pas le Plan d’action en appui aux municipalités dévitalisées en vigueur depuis 2006 et doté d’une enveloppe de 55 M $. Tous deux ont tenté d’atténuer la portée de leurs déclarations, mais l’esprit derrière les mots avait été bien compris : un triste retour aux diktats du BAEQ et aux recommandations d’André Bérard en 1995 de fermer les régions.
Brutalement démunies de leurs outils et expertises de développement, méprisées dans leur existence, les régions se sentent trahies, abandonnées. Le gouvernement leur tourne le dos et se laisse séduire par les mirages de la métropole et de la capitale. Faut-il s’étonner de la grogne des élus locaux?
Retour à un rapport de 1971
MM. Couillard, Coiteux et Moreau renouent avec les recommandations du rapport Higgins, Martin, Raynaud de 1971, lequel considérait Montréal comme la locomotive économique du Québec devant être l’objet de toutes les attentions puisque son dynamisme allait, prétendument, se déployer sur l’ensemble des régions.
Or, cette perspective n’a pas survécu à l’épreuve du temps comme l’ont démontré plusieurs études dont celles du groupe de recherche CIRANO. Et tout récemment, le 11 novembre dernier, l’Institut du Québec publiait une étude intitulée Montréal : boulet ou locomotive? Le constat général remet en question un certain dogme : « Montréal est une puissante locomotive, mais elle sous-performe au détriment de tout le Québec. […] Si l’importance de Montréal demeure indéniable pour l’économie du Québec, sa contribution est toutefois en baisse depuis 15 ans », souligne l’étude. « La comparaison de Montréal avec d’autres grandes villes n’est pas plus reluisante. Elle traîne de la patte quand on la compare à ses homologues du reste du pays. […] Avec 48,9 % de la population du Québec et 53 % du PIB de la province, la région de Montréal joue un rôle central et incontournable dans l’économie québécoise. » Toutefois, « considérant que la performance économique de Montréal a été généralement inférieure à celle des autres grandes villes du Canada au cours des dernières années, la métropole n’a pas donné sa pleine contribution à l’économie du reste du Québec », tranche l’Institut. De 1987 à 2013, la croissance annuelle de l’économie montréalaise n’a été que de 1 % en moyenne. Dans un tel contexte, « la prospérité des régions ne peut être essentiellement attribuable à celle de la région de Montréal », souligne Joëlle Noreau, économiste au Mouvement Desjardins.
Pas une mais trois locomotives
Pour reprendre une analogie connue, le Québec est un train tiré non pas par une locomotive mais par trois : Montréal, Québec et les régions. Ce train est composé de nombreux wagons, chacun transportant de précieuses richesses : population, sources énergétiques, matières premières, rivières, forêts et terres agricoles, lacs et côtes maritimes; villes et villages, etc.
C’est la puissance cumulée des trois locomotives qui fait avancer le train. Sans la présence de la troisième locomotive, les deux engins de tête ne pourraient conduire à la gare du développement le précieux chargement.
Ayant constaté un ralentissement du train, les ingénieurs conviennent de négliger l’entretien de la troisième locomotive pour concentrer leur attention sur les deux premières espérant rehausser leur puissance de traction et maintenir la cadence. Ils ne semblent pas réaliser qu’ainsi abandonnée, la troisième locomotive risque de se déglinguer rapidement et de freiner l’élan des deux autres! Qui pourra les ramener à la raison?