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Touche pas à ma région, abruti!

Par Roméo Bouchard le 2015/03
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Touche pas à ma région, abruti!

Par Roméo Bouchard le 2015/03

Le démantèlement des instances régionales de développement et de concertation, mises en place péniblement depuis les années soixante, et la réduction de 50 % des budgets qui leur étaient alloués constituent une agression sans précédent contre des régions en difficulté où vivent plus d’un million et demi de Québécois, presque autant que sur l’île de Montréal.

Quand Moreau, le petit avocat-ministre qui ne connaît visiblement rien aux régions périphériques en particulier, a le front de prétendre qu’on ne comprend pas sa réforme et que ces mesures sont une opération de décentralisation des pouvoirs et des ressources vers les municipalités, il est carrément ridicule. Comment peut-on prétendre renforcer ceux qu’on étouffe et qu’on dépouille?

D’abord, pour éviter un mur à mur déformant, il est essentiel de distinguer les six régions périphériques qui sont en déclin constant depuis 50 ans, les huit régions centrales qui sont en croissance plus ou moins forte selon qu’elles se rapprochent ou s’éloignent de Montréal, les deux agglomérations de Montréal et de Québec qui disposent de leurs propres outils de développement et de concertation, et le Nord-du-Québec qui est un cas à part en raison des grands chantiers miniers et électriques et de la forte natalité des communautés autochtones. Au total, 17 régions toutes très différentes les unes des autres. Mais ces distinctions sont sans doute trop subtiles pour maître Moreau, pour qui le territoire est une abstraction légale, et pour le docteur Barrette, pour qui ce n’est qu’un vulgaire champ de guerres de clochers.

Dans les régions en déclin ou en faible croissance, pénalisées par leur éloignement des grands centres et la faible densité de leur population, les enjeux de développement sont énormes : dans ces régions minées par l’attraction des grands centres, les populations décroissent et vieillissent, la dépendance augmente, les maladies sociales se multiplient, les communautés se désagrègent.

Deux causes du déclin

Premièrement, ces régions, dont les ressources naturelles sont le principal gagne-pain (forêt, mines, agriculture, énergie, eau, vent, sites naturels), souffrent de plus en plus d’une gestion coloniale des ressources naturelles qui fait en sorte que leurs retombées régionales ne cessent de diminuer, en raison du régime de concession, de la mécanisation des travaux, du peu de transformation sur place, de l’évolution des marchés et de l’épuisement de la ressource. Au lieu d’avoir une économie basée sur leurs propres ressources, ces régions sont pillées et réduites à servir de sous-traitants à l’économie des grands centres et des pays étrangers.

Deuxièmement, les instances de gouvernance et de concertation mises en cause (MRC, CRÉ, CLD, carrefours jeunesse-emploi, associations touristiques régionales, commissions régionales des ressources naturelles et du territoire, tables jeunesse, économie sociale, etc.) ne constituent pas des gouvernements territoriaux élus et autonomes, elles sont toutes de simples instances administratives étroitement contrôlées et financées par Québec, par divers programmes constamment remis en question et qui maintiennent ces régions dans une culture de dépendance. Il en est de même pour les instances locales et régionales du réseau de la santé et de l’éducation qui subissent elles aussi, avec nos médecins-sorciers Bolduc et Barrette, une centralisation accélérée vers des mégacentres régionaux et vers les ministères concernés. En fait, les régions sont administrées dans les officines de Montréal et de Québec.

Au lieu d’améliorer les outils pour permettre aux régions de devenir de véritables entités politiques, responsables et autonomes, capables de prendre en main leur développement en misant sur les ressources qui leur sont propres, le gouvernement détruit tout, comme si les petits conseils municipaux laissés à eux-mêmes, sans moyens, allaient pouvoir tout planifier et tout gérer seuls. Raser, diviser, fragmenter pour régner!

Même barbarie en ce qui concerne l’assassinat pur et simple de Solidarité rurale, dont les services rendus au monde rural depuis 20 ans sont indéniables : plutôt que de proposer une mise à jour de sa mission et une démocratisation de son fonctionnement, Moreau déclare que le gouvernement n’a plus besoin de ses conseils et lui coupe sauvagement les vivres, en feignant d’ignorer qu’il signe ainsi son arrêt de mort.

Ce dont les régions ont besoin – si ça peut calmer notre banquier fou de Coiteux –, ce n’est même pas d’argent sonnant du gouvernement, c’est d’une véritable politique d’occupation du territoire, d’une gestion responsable des ressources naturelles, d’une décentralisation des pouvoirs et des ressources financières.

Les régions n’ont pas besoin qu’on les développe : elles ont besoin qu’on cesse de les piller et qu’on leur permette de se développer elles-mêmes avec leurs propres ressources.

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