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Temps de vacance

Par Katerine Gosselin le 2015/03
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Temps de vacance

Par Katerine Gosselin le 2015/03

Comme un remède pour faire passer l’endurante froidure de l’hiver, il faut voir, en cette saison des galas, le lumineux Tu dors Nicole de Stéphane Lafleur, en nomination pour plusieurs prix Jutra. On y suit pendant quelques jours de l’été une jeune femme, Nicole, qui habite encore chez ses parents, dans une quelconque banlieue. Nicole travaille comme commis dans un centre de dons communautaire, et passe le reste de son temps à flâner avec son amie Véronique, avec qui elle planifie un voyage en Islande, grâce à sa nouvelle carte de crédit.

L’affiche du film a un petit côté rétro, qu’accentue le prénom de Nicole, aujourd’hui délaissé : en sépia, la jeune héroïne y apparaît comme une brunette des années 1960, sur fond de ciel dégagé, annonçant une histoire de vacances légère et nostalgique. Or le film ne cesse de déjouer les identifications, si bien que le situer dans le temps devient un véritable jeu de piste. Tantôt une vieille imprimante semble nous situer, avec son papier à bandes perforées, à la fin des années 1980. Tantôt un personnage utilise un téléphone portable, dont le modèle nous situe plutôt au début des années 2000. Tout cela dans un film en noir et blanc, qui s’ouvrait sur la lumière artificielle d’un simulateur d’aube.

On en conclut provisoirement que le film doit se passer quelque part entre 1995 et 2005, alors que survivent des technologies et des modes anciennes et que d’autres, toutes nouvelles, apparaissent et transforment le paysage. En fait, c’est sur cette cohabitation que semble porter le film, qui multiplie les situations de décalage, où des personnages ne sont pas dans « le bon temps ».

Il y a d’abord les parents de Nicole, partis chercher le soleil ailleurs et qui se retrouvent sous la pluie, alors que chez eux tout le monde profite d’un été magnifique. Il y a ensuite, au centre du film, le personnage hautement improbable de Martin, jeune pré-adolescent follement amoureux de Nicole et désireux de s’engager avec elle. Cet excès de maturité est signalé par sa voix, qui est doublée par celle, grave et virile, d’un homme mûr, donnant lieu à des dialogues délicieusement ludiques et déstabilisants. Il y a également le frère de Nicole, qui revient à la maison familiale, en l’absence de ses parents, pour enregistrer un album avec son groupe de musique. Pour ce faire, les trois musiciens doivent se disperser dans la maison et s’enregistrer séparément. On les entend crier essayant, chacun dans une pièce séparée, de garder le tempo ensemble – sans être ensemble.

Et il y a bien sûr Nicole, qui n’arrive pas à communiquer ni à établir de lien durable avec les autres, qui est déjà en Islande dans sa tête et dans ses mots. Nicole, qui est absente et apathique le jour, et qui n’arrive pas à dormir la nuit, comme ce bébé insomniaque que promène en voiture un papa désespéré, et qu’elle croise dans ses déambulations nocturnes, attirée par le bruit étrange des chants de baleines destinés à endormir le chérubin. Nicole finit par monter dans la voiture et se laisser bercer par les chants marins. Image instantanée d’une famille reconstituée, où Nicole joue le rôle à la fois de la fille et de la mère. Famille magnifiquement décalée, dont les membres voguent au même rythme sur une mer imaginaire.

Le film se termine par ailleurs sur l’image d’une caisse claire jetée avec force par Nicole dans la piscine, transformant celle-ci en geyser. Nicole se venge ainsi de l’ami de son frère, qu’elle vient de trouver dans les bras de son amie Véronique. Mais peut-être aussi marque-t-elle par ce geste la fin d’un temps trop réglé, d’un tempo mesuré au métronome.

Alors que tant de productions, depuis quelques années, surfent sur la vague de nostalgie rétro, Stéphane Lafleur utilise somptueusement les images pour rendre compte d’un temps ouvert et éclaté, qui fuit de toutes parts. Temps de la jeunesse, tendu entre l’enfance immobile et l’obligation de devenir ; temps qui est aujourd’hui devenu le nôtre, ouvert sur tant de possibles qu’on n’est jamais plus là où on devrait être. Et temps à la source duquel, peut-être, le film nous invite à revenir, pour y retrouver non pas une origine perdue, mais un espace de vacance, et une cadence à soi.

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