Ce texte est publié dans le cahier spécial « Le GRIDEQ 40 ans de partage et de croisement des savoirs » publié pour souligner les 40 ans du Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l’est du Québec (GRIDEQ).
Maude Flamand-Hubert est doctorante en développement régional UQAR.
L’importance des forêts au Québec peut apparaître à première vue comme une évidence. Elles occupent près de la moitié du territoire de la province, et environ 92 % des superficies forestières sont du domaine public. On parle souvent d’un patrimoine collectif que l’État gère pour le profit de l’ensemble des Québécois. Depuis le début des années 2000, on a beaucoup parlé des forêts au Québec. Les choses ont bougé et se sont même bousculées dans le secteur forestier (le film L’Erreur boréale, la Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise, connue aussi sous le nom de commission Coulombe, la crise financière de 2008, la nouvelle politique forestière adoptée en 2013…
Que ce soit au point de vue économique, pour la pratique des loisirs, pour leur apport à la qualité de l’environnement, pour leur dimension paysagère, les forêts occupent différentes fonctions que la société cherche à faire cohabiter. On parle aussi souvent du lien identitaire des Québécois avec la forêt, une identité qui prendrait racine dans l’histoire du peuplement de la province, faite à grands coups de défrichages pour coloniser les différentes régions. Une colonisation qui suivait bien souvent l’avancée des grandes compagnies forestières sur le territoire. Pour ne donner que deux exemples, on peut penser à Richard Desjardins, qui amorçait son film par une scène intimiste en compagnie de son père, un ancien bûcheron, ou à Jean Charest, qui introduisait en 2008 le livre vert sur les forêts en appelant les Québécois à se rallier sous le terme de « peuple forestier ».
En évoquant ces images, on fait vibrer la corde sensible des Québécois en leur rappelant leur devoir collectif de mémoire envers un passé forestier, comme si celui-ci devait être garant d’une continuité dans l’avenir. Mais en fait, référer au passé, c’est aussi y retourner pour tenter de retracer les étapes d’un échafaudage complexe d’événements qui se sont cumulés au cours de l’histoire. En effet, notre rapport collectif aux forêts s’est construit au fil du temps et dans un enchevêtrement complexe d’événements politiques, économiques, scientifiques, culturels. En s’attardant à relire attentivement les discours qui ont été produits sur la forêt au cours du 20e siècle, il s’agit de mieux saisir comment se sont succédé au fil du temps ces événements afin de mieux comprendre nos interactions collectives actuelles avec la forêt. Pour tenter d’y voir un peu plus clair, il ne s’agit pas que de replacer les événements sur une ligne chronologique, il faut aussi en saisir le sens.
Pour y parvenir, nous utilisons la notion de représentations collectives. C’est donc plus spécifiquement l’évolution des représentations de la forêt que nous tentons de faire émerger des archives. Les représentations peuvent être associées à la production d’images qui permettent de se « représenter » les choses. Des images qui prennent différentes formes à travers différents types de discours. Par exemple, pour certains, la forêt peut être vue comme une ressource si on s’attarde à sa valeur économique, comme un terrain de jeu si on y voit un intérêt récréotouristique, ou comme un puits de carbone si on la regarde sous l’angle environnemental – et parfois un peu tout cela en même temps! Pour illustrer ces différentes façons de « voir » la forêt, on peut utiliser des mots et les mettre à profit de textes informatifs ou poétiques, créer des cartes, compiler des données et faire des graphiques… Ces différentes représentations sont parfois utilisées par l’État, par les scientifiques, par les artistes, par les médias… Les représentations se composent donc d’un ensemble de moyens qui permettent aux acteurs, individuels et collectifs, de partager des images pour parler d’une même chose et tenter de se comprendre. Mais parfois, ces images créent aussi de la confusion, car il ne s’agit pas que de les produire, il faut aussi les interpréter, ce que chacun fait à sa façon, avec ses repères, et bien souvent surtout en fonction de ses propres intérêts. Les représentations subissent ainsi l’effet des transformations du temps, des récupérations et des réutilisations. On parle alors de « luttes de représentations », au sens où bien souvent, il s’agit de faire valoir, de faire dominer une façon de voir les choses sur une autre.
Les événements qui appartiennent au passé ne changent pas. Cependant, leur interprétation peut varier en fonction des problématiques qui nous appellent à les revisiter, de ce que l’on cherche à comprendre du présent. Ici, c’est en repartant de questions ayant trait au développement régional, et plus particulièrement à nos rapports sociaux avec les forêts, qu’est orientée la recherche historique.
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