Ce texte est publié dans le cahier spécial « Le GRIDEQ 40 ans de partage et de croisement des savoirs » publié pour souligner les 40 ans du Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l’est du Québec (GRIDEQ).
Mathieu Dormaels est postdoctorant Chaire de recherche du Canada en développement régional et territorial UQAR.
Qu’est-ce que le paysage?
Les paysages font partie de notre quotidien. Ils nous renvoient aux particularités d’une région, et comprennent à la fois les caractéristiques géophysiques, mais aussi les traces des activités humaines passées et présentes qui ont transformé l’environnement. Plus encore, les paysages dépendent avant tout de la façon dont on les regarde. En effet, selon que l’on est natif d’une région ou simplement de passage, ou selon ce que l’on considère « beau » ou « remarquable », le regard de chaque individu va percevoir et comprendre le paysage d’une manière différente. Le paysage désigne donc « une partie de territoire telle que perçue par les populations » (Convention européenne du paysage, Conseil de l’Europe, 2000). Cette définition du paysage implique une certaine dynamique, car le paysage doit pouvoir évoluer non seulement en fonction des activités humaines qui le dessinent, mais aussi selon les individus qui le regardent et dont le contexte culturel et social change. Cette dimension évolutive du paysage est importante à prendre en compte dans les projets qui le concernent.
Qu’est-ce qu’un paysage culturel? Le paysage comme patrimoine
Comme la notion de paysage repose sur la perception d’un territoire par des individus, on pourrait penser que le fait même de parler de « paysage culturel » constitue un pléonasme, puisque c’est notre « culture » (nos savoirs, notre éducation, etc.) qui détermine notre appréciation de ce paysage. En tant qu’expression de notre culture et témoin des activités humaines passées, le paysage est devenu depuis quelques années un objet patrimonial que l’on cherche à préserver. C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre pourquoi l’on parle de « paysage culturel », puisqu’il s’agit du terme employé par l’UNESCO qui a créé cette catégorie de patrimoine mondial en 1992. Il fallait alors lever l’ambiguïté quant aux valeurs qui font qu’un paysage peut être remarquable, de façon à le distinguer du patrimoine dit « naturel ». Cette dimension patrimoniale des paysages a aussi favorisé leur appropriation comme marqueurs des identités locales, ce qui a contribué à leur reconnaissance croissante et a favorisé leur insertion dans les politiques publiques locales et nationales. Cependant, le patrimoine est parfois vu comme un élément dont on doit limiter, voire empêcher, les transformations. Cela peut donc parfois créer des contradictions dans la façon d’aborder les paysages culturels en portant atteinte à leur possibilité d’évolution.
La protection des paysages est particulièrement importante lorsque le développement local et territorial est en jeu.
Les enjeux de la protection et la mise en valeur des paysages
L’enjeu principal de la protection des paysages réside dans cet équilibre à atteindre entre, d’une part, la protection des caractéristiques essentielles à leur signification, et d’autre part, la gestion de transformation nécessaire pour que ces paysages restent socialement utiles et pertinents. Cette protection passe notamment par leur mise en valeur, c’est-à-dire des interventions (construction d’aménagements, mise en évidence de caractéristiques, installation de dispositifs d’information et de médiation, etc.) permettant aux différentes populations d’en comprendre l’importance. Ainsi, ces populations seront sensibilisées et elles contribueront à cette protection. Il s’agit bien sûr des communautés locales, premiers intéressés par les paysages de leur quotidien, mais aussi de l’ensemble des acteurs qui interviennent sur ceux-ci directement (gouvernements, industries, etc.) et indirectement (touristes pour lesquels on aménage des sites, des infrastructures, des attractions, etc.). Il apparaît donc fondamental, pour bien protéger un paysage, de déterminer quelles sont ces caractéristiques essentielles à préserver, en accord avec les acteurs locaux. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, les démarches paysagères ont mis l’accent sur la consultation, la participation locale et le consensus afin de définir les actions de protection et d’aménagement.
Un outil pour le développement local et territorial
La protection des paysages est particulièrement importante lorsque le développement local et territorial est en jeu, surtout dans l’est du Québec. En effet, l’accroissement très important de la production électrique par des éoliennes, mais aussi les activités industrielles exploitant d’autres ressources pour la production d’alumine ou de ciment exercent une pression forte sur les paysages. Pour autant, il est clair que les régions comme le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie peuvent avoir besoin de ces nouvelles industries pour garantir des emplois et une certaine prospérité économique. Dans ce contexte, il apparaît encore plus justifié de définir des modalités de protection des paysages, non pas pour entraver le développement économique, mais plutôt pour permettre un développement raisonné qui se base sur l’ensemble des ressources du territoire. Car les paysages sont aussi une ressource de développement, à travers le tourisme bien sûr, mais aussi parce qu’ils contribuent à créer un environnement de vie attrayant et particulier qui contribue à maintenir les populations qui y sont attachées et à attirer de nouveaux résidents. C’est sur la promotion de cette vision d’un développement concerté et équilibré et les moyens de la mettre en œuvre que nous travaillons depuis la Chaire de recherche du Canada en développement régional et territorial de l’UQAR.
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