
Dans cette section, le rédacteur en chef du Mouton Noir, Marc Simard, partage avec les lecteurs ses coups de gueule, des textes coup de cœur de collaborateurs et encore plus…
Cette semaine, Marc vous invite à lire le texte de Emma Larsson de Rimouski sur les agressions sexuelles.
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Il y a une dizaine d’années, j’ai fait un voyage à vélo à travers la Suède. À travers le monde, on considère généralement la Suède, tout comme le Canada, comme un modèle exemplaire en termes d’égalité homme-femme. Lors de mes arrêts, j’ai rencontré des personnes intéressées par mon aventure à deux roues. Cependant, leur enthousiasme se transformait vite en inquiétude. Ils observaient, pour ainsi dire, l’absence d’un homme à mes côtés. En apprenant que je faisais du camping sauvage, ils ne pouvaient s’empêcher de dire : « Mais une femme toute seule ne devrait pas faire ça! » C’étaient des commentaires bien intentionnés, certes, mais ils m’ont laissée perplexe. Pourquoi considérons-nous normal que les choix d’une femme (ou d’une personne transgenre) doivent se faire en fonction d’une possible agression? En même temps, plusieurs vivent dans l’illusion qu’en Occident, les relations sont égalitaires. Que c’est « ailleurs » que les femmes sont opprimées. Ici, on dira même que la lutte féministe est allée « trop loin ». On se permet même de temps à autre des petites blagues banalisant la violence sexuelle. On prend à la légère les rôles stéréotypés, et peu créatifs, que la pornographie hétérosexuelle mainstream véhicule. Bref, d’un côté, on dit que la lutte pour l’égalité entre les sexes est atteinte. D’un autre, on admet qu’une femme ne peut se permettre les mêmes libertés qu’un homme. À force de décrire cette injustice profonde comme une fatalité, nous la normalisons, nous en devenons aveugles. Or, ne s’agit-il pas d’une vision trop réductrice et pessimiste de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons devenir?
« Vous savez, nous n’allons pas tourner autour du pot – certains m’ont dit de ne pas le dire : les femmes devraient éviter de s’habiller comme des salopes afin de ne pas être agressées.1» Ce sont les mots d’un policier de Toronto, lors d’un forum sur la sécurité des élèves à Osgoode Hall Law School, en octobre 2011. Ce policier n’était que le porte-parole d’un mythe parmi les plus répandus concernant la violence sexuelle : la victime peut être coupable de l’agression. Qu’implique ce mythe? Il implique que le droit de la femme à l’auto-détermination, au respect de son corps et de son être est conditionnel à ce qu’elle ne soit pas une salope et à ce qu’elle soit prudente; qu’une femme ne mérite pas de se faire harceler, sauf si la jupe qu’elle porte est trop courte. Pire, ce titre de salope ou ce reproche d’imprudence lui sont imposés par ceux qui lui retirent ses droits. Ce mythe veut aussi qu’un homme soit capable de respecter la femme, excepté si elle est trop sexy ou s’il a l’impression qu’elle a trop flirté avec lui. Il serait, dans ce cas, plutôt normal, compréhensible, qu’il dépasse les limites de l’acceptable, voire inévitable qu’il ignore sa volonté lorsqu’elle dit « non ». Encore une fois, le message sous-entendu est que, oui, la femme a droit au respect et à la liberté, mais que cette liberté et ce respect sont circonstanciels, et que c’est acceptable que les choses soient ainsi.
Enfin, si nous voulons vraiment arrêter de tourner autour du pot, nous devrions analyser l’agression sexuelle pour ce qu’elle est : une violence structurelle qui touche surtout les femmes, les personnes transgenres et les enfants. Le problème ne se trouve pas dans le choix vestimentaire des victimes, ni dans leur comportement. Pour y remédier, on devrait plutôt expliciter les relations de pouvoir existantes et chercher à interroger les rôles de genre qui font porter la responsabilité d’actes injustifiables à celles qui les subissent.
- Nathalie Bissonnette, « SlutWalk Toronto », Gazette des femmes, 15 novembre 2011, www.gazettedesfemmes.ca.