
« On n’a pas le choix. » Tel est le message que nous envoie le gouvernement pour justifier ses coupes importantes dans la fonction publique et les programmes sociaux, et pour remettre en question tout programme de soutien économique. « Tout le monde doit faire sa part », continue-t-il. Voilà pourquoi les familles seront mises à contribution avec la hausse des frais de garderie, que les fonctionnaires devront se serrer la ceinture avec des hausses de salaires anémiques, une précarisation de leurs conditions de travail et un alourdissement de leur tâche, que les villes se verront supprimer leurs transferts provinciaux alors que leurs besoins augmentent, que les artistes devront créer avec moins de subventions, moins de crédits d’impôt et moins de lieux culturels, et que les retraites, jadis considérées comme une responsabilité partagée par les employeurs et les employés, se transforment en un programme luxueux et illégitime. Et j’en oublie. Bref, paraîtrait-il que tout le monde se serre la ceinture. Sauf que certains se la serrent plus que d’autres. Ou plutôt, certaines.
En effet, l’austérité n’a pas les mêmes conséquences pour tout le monde. D’une part, les plus pauvres sont plus affectés que les plus riches, mais les femmes le sont bien plus que les hommes. Être une femme pauvre, et rappelons que les femmes gagnent moins que leur équivalent masculin, signifie être doublement touché par l’austérité. Cela s’explique principalement de deux manières.
Paraîtrait-il que tout le monde se serre la ceinture. Sauf que certains se la serrent plus que d’autres. Ou plutôt, certaines.
Le public, c’est féminin
Quand on pense à l’État, on oublie parfois qu’il ne s’agit pas d’une machine anonyme, d’une bureaucratie inhumaine. La masse salariale du secteur public (fonction publique et services publics) représente une large part des dépenses du Québec. Au lieu de s’en scandaliser, il faudrait se rendre compte que cela veut dire des emplois, des contribuables, mais surtout, des personnes qui travaillent pour proposer des services et gérer des programmes étatiques. Et ces personnes sont majoritairement des femmes. En effet, pour chaque homme qui travaille dans la fonction ou les services publics, on trouve 2,5 femmes. Ainsi, quand on décide de « couper dans le gras » et de réduire le nombre de fonctionnaires, le personnel médical ou de limiter les services psychoéducatifs offerts dans les écoles publiques, les emplois perdus sont majoritairement féminins. Les programmes de relance économique, eux, misent généralement sur le secteur de la construction (incitation à la rénovation, plan d’infrastructure) ou sur celui de l’extraction de ressources naturelles (industrie forestière, mines, hydrocarbures), des secteurs typiquement masculins. Les femmes perdent sur toute la ligne.
S’occuper des autres
Le travail rémunéré est une chose, mais une fois à la maison, il reste encore beaucoup à faire. Bien que le partage de tâches domestiques est de plus en plus égalitaire, les femmes sont toujours celles qui en font le plus, qu’elles restent à la maison, qu’elles travaillent à temps partiel ou à temps plein. Cette double tâche est souvent invisible puisqu’elle ne contribue pas directement à augmenter le PIB ou les statistiques de productivité du Québec et qu’on semble oublier que le ménage, la gestion des horaires de tous les membres de la famille, l’organisation et la préparation des repas ou le soutien moral et affectif ne se font pas « naturellement » et sans efforts. Et l’austérité là-dedans? Le gouvernement invite à une plus grande responsabilité personnelle. Derrière cette invitation à se prendre en main, on transfère des responsabilités qui étaient collectives vers la sphère privée, sphère qu’occupent encore principalement les femmes. La fin de l’aide au devoir? C’est à la maison qu’il faudra s’en occuper. La réduction des programmes d’insertion pour les personnes vivant avec des handicaps? Les femmes composent la majorité des proches aidants. On augmente les tarifs de garderie? Les femmes ayant généralement des salaires moins généreux, il deviendra plus difficile pour certaines de conserver un emploi et de payer les frais de garde. Les médecins n’ont plus que 15 minutes par patient? Dre Maman s’occupera du reste.
Et puis il y a tout le reste. Tout ce gras superflu qui ne sert à « rien ». Un organisme de défense de droits, est-ce vraiment le meilleur investissement pour les rares dollars que l’État se donne le droit de dépenser? Alors que des emplois féminins bien rémunérés et avec des possibilités de mobilité se font supprimer, alors qu’on transfère de plus en plus de responsabilités aux individus, donc aux femmes, plusieurs pays qui ont eu à jongler avec l’austérité ont également vu disparaître des organismes communautaires qui veillaient à offrir des services et de l’accompagnement aux femmes. Que reste-t-il ensuite, sans emploi, sans services et sans soutien communautaire? Quels sont les recours pour les femmes, et les femmes pauvres de surcroît?
Avec l’austérité, le chacun pour soi se réduit à sa plus simple expression. On assiste un peu impuissant à une diminution du soutien direct de l’État accompagnée d’une réduction au minimum des ressources pour les initiatives collectives. La défense de droits, la veille des politiques publiques, la mobilisation citoyenne… On n’a plus d’argent pour ça. Plus d’argent non plus pour des emplois décents au gouvernement. Et encore moins d’argent pour offrir l’aide qui permettrait à tout un chacun d’avoir les mêmes possibilités de mener une vie décente. Pendant que tout fout le camp, si on ne fait rien, on nous enlèvera les moyens mêmes de nous en rendre compte.