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Devant la crise des institutions démocratiques

Par Samie Pagé-Quirion le 2015/01
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Devant la crise des institutions démocratiques

Par Samie Pagé-Quirion le 2015/01

La violence faite aux femmes n’est pas seulement révélatrice d’une structure oppressive d’un sexe sur un autre, elle indique aussi une crise sociale et civilisationnelle. Devant le génocide, la barbarie, la misère humaine, l’homme se révolte sur le genus, la matrice, le symbole de la reproduction du monde. Du mythe de la boîte de Pandore au péché originel, la décharge est constante sur celles qui portent le sexe féminin. Pourtant, cela n’explique pas tout. Pourquoi une telle violence envers les femmes à travers l’histoire? Pourquoi les maisons pour femmes victimes de violences conjugales sont toujours remplies? Pourquoi plus de femmes que d’hommes sont tuées lors des guerres? Pourquoi les hommes autochtones du Mexique, en situation de génocide lent, tuent les femmes de leur communauté? Toutes les trois heures et demie, une femme meurt au Mexique.

Retracer l’histoire de chaque peuple fait émerger une pluralité de réponses sur l’origine de la violence envers les femmes, mais une similarité structurelle existe dans 80 % des sociétés et des communautés. Cette similarité est celle de la hiérarchie entre les hommes et les femmes qui permet l’appropriation d’un sexe par un autre. Cette situation s’observe dans les agressions et les interdictions intellectuelles et corporelles que les hommes imposent aux femmes, et ce, à presque toutes les époques et dans beaucoup de cultures. On parle ici de malnutrition, de surmédicalisation, de négligence quant à la santé des corps, de mutilations corporelles, d’habillement oppressant, de viol, d’exploitation sexuelle, d’objectivation des corps, de moindre accès aux savoirs scientifiques, religieux, ésotériques, techniques, économiques et politiques, etc.

Dans les années 1970 et 1980, l’approche féministe matérialiste radicale qui veut saisir la problématique de la violence faite aux femmes par la théorisation des racines de leur oppression s’appuie sur une mémoire anthropologique des gens exclus du destin des sociétés. La situation d’exclus procure l’avantage de percevoir l’exercice du pouvoir différemment et d’y introduire une nouvelle natalité, c’est-à-dire de faire des espaces démocratiques des lieux de naissance de nouveaux sujets politiques. Par un travail de re-conceptualisation de la démocratie, du vivre ensemble et des institutions, les féministes aspirent à enrichir le monde de nouvelles connaissances et à produire des rapports sociaux égalitaires et libres. De par l’histoire, une certaine modernité a créé des institutions démocratiques qui prétendaient être des lieux de réalisation et de préservation de l’égalité et de l’autonomie de la pensée dans lesquels a pris vie un idéal de liberté qui a impulsé la formation des mouvements féministes.

Depuis fort longtemps, le projet de natalité politique se pense dans un rapport rejet-attraction avec la modernité, mais aujourd’hui, en niant certains bienfaits de la modernité, on pourrait abolir les conditions mêmes de l’existence du féminisme. En refusant catégoriquement de défendre les institutions, on risque de perdre des acquis essentiels à la réalisation du projet féministe, soit la démocratie, l’autonomie de pensée, la rigueur d’un raisonnement, le potentiel d’enrichissement d’une argumentation. De cette manière, nous ferions preuve d’une très grande amnésie en regard de notre histoire.

En conséquence, ce qui devrait être discuté à l’heure actuelle dans les médias sociaux, c’est la capacité de notre société à prendre en charge le problème de la violence faite aux femmes. Puisque le féminisme est un travail de subversion-subjectivation politique des genres, il fait des situations que vivent les femmes des enjeux politiques débattus dans les espaces démocratiques. Le féminisme ne peut donc se refuser à défendre l’exercice du politique et les lieux qui le font vivre. Ainsi, ce qu’expriment les femmes qui dénoncent le harcèlement sexuel, c’est aussi la crise des institutions démocratiques, de la société et des civilisations occidentales.

Malgré tout, nombreuses sont les féministes qui continuent toujours de contextualiser et d’analyser l’oppression des femmes en fonction d’une articulation avec les autres systèmes d’oppression (le racisme, le capitalisme, l’hétérosexisme) dans un rapport rejet-attraction avec la modernité. Sachant que notre civilisation est en crise, que nos liens sociaux se désagrègent, que les lieux de direction des sociétés sont mondialement monopolisés par les organisations capitalistes, nous devons travailler à mettre en place une autre civilisation, repenser la pérennité des liens sociaux et reconstruire des institutions démocratiques à notre image.

Accepter de transiter vers un projet d’enracinement des femmes dans le monde tout en considérant leur existence non comme une essence, mais comme une construction sociale et historique implique de penser le rapport au territoire, à la nature, et fondamentalement aux institutions démocratiques. Nous devons prendre conscience que la Terre est la condition à la démocratie, car la survie de la condition humaine exige son organisation politique. Le thème de la Marche mondiale des femmes de 2015, « Libérons nos corps, notre Terre et nos territoires », exprime un sentiment ambiant fort important : il ne suffit plus de théoriser les racines de l’oppression des femmes pour réaliser le projet féministe, il faut se pencher sur les racines de leur liberté.

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