
Qu’est-ce que l’éducation? Les réponses à cette grande question varient au gré des époques et des penseurs. Dans son essai Une histoire philosophique de la pédagogie. Tome 1 – De Platon à John Dewey, Normand Baillargeon présente une lecture originale et stimulante de l’histoire de la pédagogie. Le concept central de pédagogie y est justement compris comme « une vision ou une théorie de l’éducation », une réponse à notre question de départ en quelque sorte, mais bonifiée par les considérations pratiques que suscitent les enjeux théoriques.
Ces diverses conceptions de l’éducation s’inscrivant dans des contextes historiques chaque fois particuliers, l’auteur s’efforce de les y situer. Ainsi aborde-t-il l’Antiquité à travers Platon et Isocrate, mais aussi au moyen de descriptions synthétiques de l’éducation athénienne, spartiate et romaine. Le lecteur survolera ensuite le Moyen Âge, où il constatera l’empreinte profonde qu’a laissée le christianisme sur la pédagogie occidentale. Consacré à la Renaissance, le chapitre suivant est l’occasion de retourner aux fondements de l’humanisme et d’aller à la rencontre entre autres de Rabelais, de Montaigne et de Locke. Les chapitres quatre et cinq couvrent tour à tour le Siècle des lumières et le XIXe, avec pour têtes d’affiche Kant, Rousseau, Condorcet, Diderot, Comte, Pestalozzi, Spencer et Hegel. Au fil d’arrivée, un épilogue consacré au démocrate John Dewey (1859-1952) permet de clore le XIXe siècle et d’ouvrir une porte sur le XXe.
Plus nous nous rapprochons de la période contemporaine, à laquelle sera consacré un prochain tome, plus les descriptions sont étoffées, rendant compte de la diversité et de la complexité des points de vue et des enjeux qui ont cours en éducation. Chaque fois qu’un nouveau pas est franchi, l’auteur arrive à faire sentir la filiation de l’histoire pédagogique avec ses fondements les plus lointains, expliqués en début de parcours et ponctuellement évoqués par la suite.
À travers les soubresauts de l’histoire, Baillargeon parvient ainsi à tracer des lignes très nettes. En effet, parmi les nombreuses idées qu’il explique, trois conceptions de la pédagogie apparaissent comme les grands jalons de son histoire : la vision libérale de Platon, le romantisme de Jean-Jacques Rousseau et le progressisme de John Dewey. L’ouvrage ne se limite pourtant pas à un condensé d’histoire intellectuelle ou d’histoire des idées pédagogiques. Chaque section se développe autour de trois axes qui assurent une cohérence globale à l’analyse : l’épistémologie, l’anthropologie et le politique. Baillargeon s’intéresse donc autant au contexte sociohistorique qu’à la valeur épistémologique des idées qu’il présente, et il ne manque pas de porter un jugement sur certaines pratiques pédagogiques. Ensemble, ces trois axes permettent de présenter des théories classiques de manière synthétique, tout en incorporant quelques figures plus méconnues, et font de cette somme de savoirs un vibrant plaidoyer en faveur d’une réflexion éclairée sur l’éducation.
En suivant ce plan original, l’exposé se distingue déjà des autres ouvrages d’histoire générale de l’éducation. De plus, la forme de l’essai permet à l’auteur d’aborder quelques-uns des thèmes qui lui sont chers : pensée critique, culture générale, savoirs fondamentaux, importance de l’éducation, fonction libératrice/émancipatrice de l’éducation, anarchisme et démocratie. Ajoutons à cela une préoccupation féministe qui se traduit par le constant souci de considérer la place accordée à l’éducation des femmes et nous avons entre les mains un essai à la fois engagé et stimulant.
Avec son style direct et dépourvu de jargon, le premier volet d’Une histoire philosophique de la pédagogie saura rejoindre le néophyte qui s’intéresse aux enjeux de l’éducation pour sa culture personnelle et citoyenne autant que le professionnel qui souhaite enrichir sa réflexion sur les pratiques pédagogiques actuelles. À la fois ouvrage de référence et essai, ce petit cours 101 propose un salutaire équilibre entre la mise à distance du sujet par l’étude de l’histoire et les préoccupations contemporaines de cet auteur prolifique. Ce dernier relève une fois de plus le défi qu’il s’est donné et offre une autre lecture incontournable aux citoyens préoccupés par les enjeux éducatifs ainsi qu’à tous ceux qui cherchent simplement à approfondir leur culture générale. La démonstration de Normand Baillargeon est convaincante et annonce une suite aussi nécessaire qu’attendue.