Actualité

Rendre la propriété plus abordable et écologique

Par Alain Vézina le 2014/11
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Rendre la propriété plus abordable et écologique

Par Alain Vézina le 2014/11

En octobre, les Éditions Écosociété ont fait paraître Manuel d’antispéculation immobilière : une introduction aux fiducies foncières communautaires.

Aux États-Unis, les fiducies foncières communautaires (FCC) sont en élaboration depuis 45 ans. Elles ont atteint une maturité certaine, organisationnelle et juridique, depuis environ 30 ans. Dans ce seul pays, on en dénombre plus de 250, que l’on désigne sous le nom de Community Land Trusts.

La plus importante FCC au monde emploie environ 80 personnes et est située autour de Burlington, au Vermont. Le Champlain Housing Trust (CHT) offre de l’habitation abordable à plus de 5 000 personnes sur une population régionale d’environ 60 000 habitants. C’est donc environ 10 % de la population régionale qui trouve à se loger au sein d’une FCC. En 2008, le Champlain Housing Trust a reçu le Prix mondial de l’habitat des Nations Unies. Appuyé par le milieu et le pouvoir municipal, l’organisme poursuit son expansion.

Plus récemment, un relevé de la performance des FFC américaines indiquait qu’elles avaient permis à 98,5 % des ménages qui y sont établis de conserver leur habitation par-delà l’importante crise immobilière de 2008-2009 : une performance sept fois supérieure à ce qu’a présenté dans le même contexte le marché traditionnel de l’habitation.

Au Québec, aucun exemple de fiducie foncière communautaire n’existe encore. Par contre, dans certains projets, en Estrie par exemple, on s’en inspire. De manière plus générale, le cadre juridique requis à leur déploiement a été précisé.

Les propriétés offertes par le CHT à Burlington le sont à un montant 20 % inférieur à celui du marché traditionnel, et même à 40 %, là où le terrain est tout particulièrement cher. Dans le contexte québécois, une hypothèse réaliste basée sur une maison type conduit à un prix inférieur au marché de 26 %.

Comment y arriver?

Deux mécanismes à portée immédiate sont mis en place. La propriété du sol est dissociée de celle de l’habitation, ce qui permet de réunir à perpétuité des terrains en un seul territoire non appropriable par des individus ou le secteur privé. Toutefois, chaque propriétaire bénéficie de l’usage privé de sa parcelle clairement définie qui lui est louée pour un tarif modique payable périodiquement. Dans l’idéal, l’habitation est vendue, ce qui favorise à la fois l’acquisition d’un patrimoine économique et une mobilité future en fonction du changement de besoins. L’achat du bâtiment et l’usage du terrain sans avoir à l’acheter expliquent la plus grande part de l’économie.

L’organisation qui régit le foncier détient une priorité de rachat sur chacune des habitations vendues et contenues sur son territoire. Les termes de ce rachat sont fixés par contrat lors de l’achat initial. L’objectif vise l’équilibre et l’équité dans le partage de la plus-value appropriable par le propriétaire-vendeur d’une part et par la communauté d’autre part. Cette dernière protège la valeur qu’elle apporte à une propriété, dans l’immédiat et pour les générations à venir.

Si le milieu est riche de beautés naturelles, d’infrastructures et de services de proximité, cet ensemble de valeurs ne peut faire l’objet d’une appropriation personnelle spéculative par le propriétaire-vendeur et doit rester le bien de la communauté.

Le patrimoine du propriétaire-vendeur est constitué de l’avoir accumulé par le paiement de l’hypothèque, par la valeur donnée aux améliorations faites sur le bâti, de même qu’en honorant un indice d’inflation depuis le moment de l’achat. De cette façon, le partage de la plus-value participe à rendre l’habitation abordable tout en désamorçant durablement la spéculation immobilière.

Un à un, les terrains acquis élargissent le territoire de l’organisation. Une gestion démocratique tripartie évite que les représentants d’intérêts particuliers influencent seuls les orientations et emportent continuellement les décisions autour des enjeux. En matière d’environnement, la gestion démocratique du territoire facilite une planification élargie et la possibilité de collaborer aux affaires du milieu tout en s’assurant d’une interlimitation des intérêts particuliers.

Après avoir lu Manuel d’antispéculation immobilière, on se demande ce qui peut nous retenir de promouvoir cette forme de propriété. Son potentiel économique et environnemental paraît équilibré, adaptable et capable d’inclure toute la gamme des habitats, de même que les entreprises locales.

Tant sur les plans économique, social qu’environnemental, les fiducies foncières communautaires devraient nous apparaître comme une formule équilibrée de l’espace habité, destinée à mieux structurer l’avenir commun. On peut faire le pari que ces fiducies apportent au Québec une expérience cruciale. En mettant l’accent sur l’intendance démocratique de l’habitation abordable pour tous, les fiducies foncières communautaires produisent une réponse de long terme à la spéculation immobilière. Il s’agit d’un élément trop souvent passé sous silence, même par tous ceux qui veulent innover dans le domaine de l’habitation.

John Emmeus Davis (dir.), Manuel d’antispéculation immobilière : une introduction aux fiducies foncières communautaires, Éditions Écosociété, 2014, 216 p.

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