
Maître d’œuvre d’un hip-hop toujours en avance sur son temps, Flying Lotus, considéré par beaucoup comme l’icône du hip-hop underground de ces dernières années, signe un cinquième opus intitulé You’re dead! Un album cosmique qui invite à suivre le voyage d’une âme vers l’au-delà.
Tout au long de pièces où les échantillons de jazz se mêlent à des rythmiques synthétiques dans une composition électronique des plus maîtrisées, l’artiste évolue avec aisance au fil de diverses influences héritées en partie de son incroyable généalogie. En effet, Steven Ellison, alias Flying Lotus, est le petit-fils de Marilyn McLeod (à qui le célébrissime label Motown doit quelques-uns de ses plus beaux titres) et il est aussi le neveu d’Alice Coltrane, musicienne de jazz et épouse du grand John Coltrane.
En plus de cet héritage qu’il n’a de cesse de revendiquer, l’artiste aux multiples casquettes (beat-maker, rapper, multiinstrumentiste) évoque des influences telles que King Tubby, producteur jamaïcain reconnu à l’origine de la musique dub, ou J. Dilla, figure majeure du hip-hop dans les années 1990 à Détroit. Comme si ce n’était pas suffisant, l’album accueille des collaborations aussi prestigieuses qu’éclectiques, à commencer par Herbie Hancock sur le titre « Moment of Hesitation ». Sur « Dead Man’s Tetris » l’alter ego de l’artiste, nommé Captain Murphy, partage le micro avec Snoop Dogg dans un hymne gangsta rap en 8-bit.
À l’écoute, l’album s’ouvre sur des pièces denses et sombres, où des lignes de basses frénétiques s’entremêlent avec des échantillons de batterie savamment articulés dans une transe atonale, rappelant la grande époque du free-jazz. Puis, quelques phrases de guitares saturées nous amènent tel un corridor au noyau hip-hop de l’album : « Never Catch Me », titre quasi radiophonique qui, tout au long de pistes construites en trompe-l’œil, réussit l’exploit d’allier une réelle efficacité à une virtuosité d’arrangements dont seul Flying Lotus semble avoir le secret.
C’est alors que commence l’ascension vers des titres de plus en plus atmosphériques. « Turkey Dog Coma » emprunte ainsi des sonorités complexes et tout en nuances qui forcent l’auditeur au lâcher-prise devant des progressions de plus en plus alambiquées. Peu à peu les accents jazz se raréfient, les échantillons de batterie font place à des séquences rythmiques composées à l’ordinateur et invitent l’auditeur à plus de légèreté.
En apesanteur, le voyage bat son plein et les nappes de synthétiseur sonnent comme la promesse que rien ne vous ramènera plus sur terre. Les roulements de caisse claire des premiers titres se taisent, délestant ainsi les pièces et il ne reste plus que les percussions électroniques jouées en laid-back pour rythmer l’écoute. Les lignes de basse s’épurent, l’écho du gangsta rap semble bien loin devant les voix chaleureuses d’Angel Deradoorian et de Niki Randa. Les textures sonores sont de plus en plus éthérées, rappelant la thématique de l’album : un voyage vers l’au-delà.
Bien qu’on regrette le côté tape-à-l’œil des arrangements et le mixage aux sonorités parfois brutes, il est évident que Flying Lotus livre ici son opus le plus intime.
À ceux qui cherchent le dépaysement et acceptent de voir leur écoute évoluer au fil d’expérimentations sonores, You’re Dead! se présente comme un voyage incontournable. Tantôt introspectif, tantôt turbulent, mais toujours honnête à l’endroit de son contrat de base : une ode à la spiritualité, une prière lancée vers l’au-delà, un hymne à l’âme humaine.