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Au mépris des communautés locales et régionales

Par Roméo Bouchard le 2014/11
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Au mépris des communautés locales et régionales

Par Roméo Bouchard le 2014/11

Jusqu’ici, les réseaux de la santé et de l’éducation, sans être soumis aux instances démocratiques territoriales comme telles (comme en Suisse par exemple), respectent en gros la structure de nos communautés locales, régionales et nationale. Ce ne sera cependant plus le cas si les projets de réforme, présentés récemment, sont acceptés.

Les institutions qui fournissent les services de santé et d’éducation (hôpitaux, CLSC, CHLD, écoles primaires, polyvalentes, etc.) ont une certaine autonomie. Elles sont regroupées dans des instances qui épousent de près les territoires des 101 MRC et des zones urbaines : les services de santé dans les 128 centres locaux de santé et de services sociaux (CSSS) et les services d’éducation dans les 72 commissions scolaires. Dans les 17 régions et territoires autochtones du Québec, 18 agences régionales de la santé et des services sociaux assurent la planification des unités de services et des ressources en santé. Sur le plan national, le ministère de la Santé et des Services sociaux et celui de l’Éducation, ainsi que leurs bureaux régionaux, fournissent l’encadrement, les orientations, la planification nationale et les budgets.

De cette façon, tout en demeurant fortement centralisés politiquement et administrativement, ces deux réseaux permettent à chaque communauté locale d’héberger un important personnel de gestion et de services, tant en santé qu’en éducation, de faire valoir ses besoins particuliers par des représentants aux conseils d’administration et de jouir d’un minimum d’autonomie et d’indépendance.

Une vaste opération de centralisation et de contrôle

Les réformes que propose le Dr Barrette dans le réseau de la santé sont, selon les termes utilisés par l’ex-ministre de la Santé, Réjean Hébert, « une vaste opération de centralisation et de contrôle ». De même dans le réseau de l’éducation, il est question de réduire à une trentaine de centres les 72 commissions scolaires actuelles. M. Hébert, excellent défenseur de la décentralisation démocratique, poursuit, dans Le Devoir du 30 septembre dernier : « Le Dr Barrette prétend faire disparaître les agences : la réforme les conserve au contraire, en augmente le nombre (quatre de plus à Montréal) et en élargit les fonctions en leur confiant aussi la prestation des services. Ce qui disparaît dans les faits, ce sont les 182 établissements de santé locaux et spécialisés [et les 128 CSSS] qui sont intégrés à ces [28] méga-agences régionales [Centres intégrés de santé et de services sociaux-CISSS]. La participation citoyenne locale est complètement évacuée au profit d’une centralisation régionale et nationale. La démocratie est aussi abolie, car les membres des conseils d’administration, les directeurs généraux de ces centres régionaux et leurs adjoints seront nommés par le ministre, ce qui ouvre la porte au favoritisme et aux ingérences politiques. […] En régions, ces méga-structures centraliseront les services autour des villes-centres au détriment des zones plus éloignées. Les communautés locales n’auront plus aucune influence sur les services de santé [et bientôt d’éducation] qu’elles reçoivent. Non seulement le pouvoir et les budgets seront drainés vers le centre, mais les ressources humaines le seront aussi, accentuant d’autant les pénuries en zones périphériques. »

Le patient est désormais au service du réseau et du ministre plutôt que l’inverse! Une gouvernance administrative de haut en bas plutôt qu’un gouvernement démocratique de bas en haut. Les sorciers de l’Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques (IGOPP) n’ont pas mis longtemps à comprendre. Son président Yvan Allaire laisse tout de même filtrer une inquiétude quant à la centralisation excessive : « Le modèle de gestion proposé s’apparente au modèle de gestion mis en place par toute entreprise privée devant orchestrer et contrôler les activités de multiples divisions réparties géographiquement. Ce modèle porte le nom de ”gouvernance stratégique“ ou ”gouvernance interne“. » 1

Le mythe de la centralisation

C’est un recul dramatique de la démocratie et du projet de décentralisation territoriale, un mépris et un affaiblissement sans précédent de la souveraineté et de l’implication des communautés locales et régionales. La démocratie n’est pas la gestion par la compétence; le gouvernement démocratique n’est pas la gouvernance administrative.

La centralisation est un mythe. La meilleure façon de réduire la taille et les dépenses de l’État n’est pas de centraliser ou de privatiser les services, mais de les décentraliser, c’est-à-dire de permettre aux communautés locales et régionales de les gérer elles-mêmes, à l’intérieur d’objectifs nationaux. Les communautés locales connaissent bien leur milieu et peuvent travailler en synergie avec les ressources locales, à condition qu’on leur donne de véritables pouvoirs et une autonomie budgétaire. L’extrême centralisation de l’État québécois est une des causes majeures de l’accroissement de ses budgets de dépenses et de l’inefficacité des services. Mais les technocrates suffisants qui nous gouvernent ne jurent que par la centralisation et ne font aucunement confiance à la population, à sa participation et à sa capacité de se prendre en charge.

  1. Le Devoir, 1er octobre 2014

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