
Dans Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes?, le scénariste Zidrou et le dessinateur Roger racontent l’histoire d’une maman, Catherine, qui s’occupe seule de son fils Michel, un bon garçon, « le meilleur qui soit », dit-elle. Sauf qu’il a 43 ans et qu’il est handicapé. C’est un petit garçon dans un corps de sumo.
Michel a déjà été un beau jeune homme, svelte, populaire, brillant. Il le sait : « Avant, j’avais une amoureuse, même qu’on couchait ensemble! Je pouvais conduire la voiture de papa. Aller dans les discothèques… Tout quoi! » Il pouvait tout faire, en effet, même prendre un coup. Même conduire vite. Même passer à travers un pare-brise à 160 à l’heure.
Pour Michel, c’est comme si sa vie d’adulte n’avait pas vraiment existé, comme s’il n’avait jamais vieilli. Il ne vieillira plus vraiment d’ailleurs. Il habitera toujours chez sa maman, qui reprisera encore longtemps ses chaussettes. La tâche de Catherine ne s’arrête pas à la couture : elle doit accompagner son fils au parc, endurer ses crises, répondre cent fois aux mêmes questions, encadrer soigneusement ses mille et une routines. Elle n’aura jamais de retraite paisible. Mais peu importe : elle veut tout faire pour rendre son « Michelou » heureux. Il a droit à son bonheur. Catherine va même chercher de la porno au club vidéo pour lui, car son petit Michel a encore des envies de grands.
Pendant que le roi de Prusse…, c’est l’histoire de ces petites attentions, sous forme de portraits du quotidien doux-amer de Catherine et de Michel. Au bout de ces portraits, on ferme l’album avec la drôle d’impression de n’avoir lu qu’un prologue, comme si on avait planté le décor, l’ambiance et les personnages d’un récit qui n’arrive jamais. On se dit : « C’est tout? » Et on se rend compte que oui, c’est tout. Il n’y a pas d’aventures pour des personnes comme Michel et sa mère, ni de finale qui laisse espérer des jours meilleurs. Pour Catherine, le quotidien est déjà une aventure. Mais une aventure dont elle connaît déjà le commencement et le terme : demain n’est pas un autre jour, demain ne sera pas mieux. Pire même : à 72 ans, Catherine sait qu’elle va mourir alors que Michel sera encore là. Elle doit s’assurer que le quotidien se poursuivra, même lorsqu’elle n’en fera plus partie.
Zidrou et Roger proposent ici une bande dessinée sous forme de petits riens, sans prétention. C’est une qualité à souligner. L’album n’est ni un manifeste ni un plaidoyer. Il n’apporte pas de réponse. Il ne donne pas non plus dans la morale à deux sous : on ne cherche pas à nous faire pleurer sur les malheurs du monde ou à nous culpabiliser de ne pas « savourer notre chance ». On ne se sent jamais mal à l’aise, juste un peu moins indifférent aux Michel et aux Catherine de ce monde. Les auteurs nous offrent simplement une histoire sans histoire, juste, plaisante et touchante, jamais larmoyante. Un équilibre rare.