
Dans son plus récent roman, Le silence de la Restigouche, l’auteure d’origine acadienne, Jocelyne Mallet-Parent, transporte ses jeunes lecteurs en ses terres, dans la région de la Restigouche. Au cœur du récit, Simon Vicaire, Micmac, que l’on suit dans sa jeunesse. Rapidement, un clivage important se dessine, une fracture qui n’est que trop bien connue. Les bernaches ne fréquentent pas les oies blanches. Autrement dit, autochtones et non-autochtones se repoussent plus souvent qu’ils ne s’attirent. Et s’ils s’attirent, les ennuis ne sont pas loin. D’ailleurs, les moments de friction ne manquent pas dans les premiers chapitres du roman.
Le jeune Vicaire fréquente depuis sa jeunesse Meaghan Barnaby, qui vit tout près de chez lui sur la réserve. Leur relation se complique lorsque Simon entre à l’école des Blancs, en dehors de la réserve. Simon fait la connaissance d’Isabelle Bouchard, et la seule présence de la blonde adolescente chamboule le jeune homme. Cette relation cause une commotion parmi ses proches et suscite principalement la réprobation, ce qu’il cherchera à comprendre. Remontant l’histoire familiale jusqu’au temps de son grand-père Billy, il ne trouve que peu de pistes, se heurtant sans cesse à un silence qu’il n’arrive pas à briser. Sa quête prend une tournure dramatique et inattendue au plus fort de son idylle avec Isabelle alors que Meaghan est retrouvée morte.
Il est dommage que l’élément déclencheur de la trame narrative soit expédié en quelques lignes seulement. En effet, d’un bête accident résulte une quête qui orientera la plus grande part du roman. On se serait attendu à plus de détails, on aurait aimé prendre toute la mesure de l’événement. Ces brefs survols, qui apparaissent à quelques endroits au long du récit, nous laissent sur notre faim. Malgré tout, l’intrigue « aimante » le lecteur, elle se précise agréablement au fur et à mesure que les pages défilent, ponctuées de mots en langue micmaque. L’écriture est belle et accessible. Elle rend bien les lieux, la réalité autochtone, les tragédies auxquelles les personnages sont confrontés.
On sent du début à la fin du roman que le récit est fortement imprégné par le territoire. Les éléments naturels sont omniprésents, et la vie des hommes de la famille Vicaire est liée à la nature d’une façon ou d’une autre. Billy Vicaire, grand-père de Simon, est guide de pêche au saumon et exerce un ascendant majeur sur son petit-fils. Son existence entière est rythmée par la nature, il évolue en synergie avec les rivières, les forêts, et les animaux qui les parcourent. Il est un modèle pour Simon à tout point de vue, contrairement à son père tourmenté par son passé. À certains moments, le rythme de l’écriture ralentit, laisse place aux réflexions, aux confidences, aux pensées les plus intimes des protagonistes. C’est là que se révèlent, au fil des méandres d’une rivière, les tragédies derrière le silence des Vicaire, les raisons de leur hostilité à l’égard des Bouchard. L’intrigue s’éclaircit dans la seconde partie du roman par l’intervention de personnages externes à la Restigouche, qui contribuent à rapprocher bernaches et oies blanches, autochtones et justice. Bref, à panser les plaies toujours douloureuses après la tragédie ayant secoué les familles Vicaire et Barnaby. Une lecture qui plaira aux adolescents comme aux adultes.