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Le deuil du pouvoir

Par Christine Portelance le 2014/05
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Le deuil du pouvoir

Par Christine Portelance le 2014/05

Après le concert de casseroles, la tragédie de Lac-Mégantic, le débat sur la charte, le peuple a demandé qu’on lui sacre patience.

On ne soupçonne pas ce que le peuple québécois, frileux, est prêt à endurer pour préserver sa tranquillité. Au fil des siècles, sa résilience a emprunté différentes formes : stoïcisme, résignation, patience et silence. Avec comme soupape une grande créativité. L’âme québécoise est un long fleuve de survivance tranquille. Même la révolution ici a été tranquille. Le peuple québécois est toujours là après 400 ans; plus prospère que jamais, il ne peut pas avoir complètement tort.

René Lévesque savait parler à l’âme québécoise; il demandait un mandat pour négocier, ce qui signifiait de longues palabres, la garantie d’une séparation démocratiquement tranquille. On n’a pas osé. Avec Jacques Parizeau, on ne craignait plus autant pour son porte-monnaie, alors on s’est approché très près du but. Après la défaite, nombreux étaient les souverainistes qui ne croyaient plus au référendum comme moyen d’accéder à la souveraineté parce que le camp du non ne respecterait pas les règles du jeu (le scandale des commandites et la loi sur la clarté leur ont donné en quelque sorte raison). Cul-de-sac.

Qu’à cela ne tienne, il restait le pouvoir. Avec un parlement conçu pour le bipartisme, ce n’était qu’une question de patience. Quant à la souveraineté, il suffirait de dire qu’on attendrait les conditions gagnantes. Le projet souverainiste s’est ainsi dilué avec l’envie d’exercer le pouvoir. En 2007, arrivé troisième derrière l’ADQ, le Parti québécois n’a pas compris ce qui lui arrivait. En 2011, le Bloc québécois a été pratiquement rayé de la carte parce que sans projet souverainiste à Québec, il perdait sa pertinence à Ottawa. En 2012, malgré la crise sociale, et en dépit de ce qu’on pouvait subodorer de la corruption et de la collusion — les trottoirs coûtaient cher au Québec —, le peuple n’a accordé qu’un gouvernement minoritaire au Parti québécois. Si le gouvernement de Pauline Marois avait su décoder le message, il aurait fait adopter le projet de loi Mourir dans la dignité et une charte de la laïcité consensuelle, il aurait fait fonctionner le parlement au mieux, et laisser l’odieux du déclenchement des élections à ses vis-à-vis. Mais l’attrait du pouvoir a été le plus fort. L’idée était simple : en polarisant le débat sur l’identité, on ferait tomber la CAQ dans les craques du plancher. Ce plan aurait pu fonctionner si l’adversaire n’avait pas utilisé la même stratégie en créant la polarisation autour du référendum. Pris qui croyait prendre.

Un parti souverainiste doit maintenant admettre qu’il ne pourra être porté au pouvoir que s’il est élu par des souverainistes et par des insatisfaits du fédéralisme actuel qui accepteront que l’ultime décision leur reviendra lors d’un référendum. Un tel parti doit donc faire le deuil du pouvoir, abandonner toute stratégie de séduction et opter pour l’authentique. Débarrassé de l’électoralisme, il retrouvera ainsi sa raison d’être.

Il y a un demi-siècle, le projet politique d’indépendance est né du désir de sortir le Québec d’un état de sous-développement économique, culturel et social induit par le fédéralisme canadien. On n’en est plus là aujourd’hui. Le 7 avril, des ténors péquistes ont dit qu’il fallait un pays pour prendre nos propres décisions. Soit. Mais comment?

Sûrement pas avec un parlement à la britannique. On voit à Ottawa ce qui advient à la démocratie lorsque le parti au pouvoir ne respecte plus le gentleman’s agreement garant du fonctionnement du parlement et impose des projets de loi mammouth. Et sûrement pas avec des élus qui s’invectivent en bataille rangée. Peut-on éviter que le Québec ne soit plus qu’un vaste cocothon?

Quelle démocratie pour le pays du Québec? C’est là la question. Comment représenter centres urbains et régions? Comment repenser la politique municipale? Le rôle des élus? Un projet de démocratie n’est ni à droite ni à gauche et requiert les forces vives des jeunes et des vieux. Ce ne pourra être qu’une longue marche tranquille. René Lévesque avait raison lorsqu’il invoquait le bâton du pèlerin : bâtir un pays est un cheminement, le peuple en choisit le rythme. Sprinters et stratèges, prière de s’abstenir.

Rien ne sert de pleurer sur le passé. Comme disait ma mère après chaque coup dur de la vie : on brasse les cartes et on recommence.

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