
Invitée parmi d’autres membres de la Table de concertation des groupes de femmes du Bas-Saint-Laurent, j’ai eu la chance de participer aux États généraux de l’action et de l’analyse féministes tenus en territoire kanien’kehá:ka (mohawk) du 14 au 17 novembre 2013.
Les ateliers et les discussions auxquels j’ai assisté ont fait ressortir le besoin d’établir des relations inter-nationales respectueuses entre les Québécois et Québécoises et les Autochtones : des nations différentes qui cohabitent sur un même territoire. Les participantes aux ateliers « Autodétermination et solidarité avec les femmes autochtones » ont fait le souhait que nos nations s’allient, d’égales à égales, et unissent leurs forces pour défendre les droits des femmes, pour lutter contre la colonisation des esprits et des communautés, et pour faire cesser l’exploitation abusive de la Mère Terre. Selon elles, le temps est venu de s’unir en une sororité plurinationale qui tend vers des changements positifs pour nos communautés. Collaborons « sur un pied d’égalité de nation à nation », indique le Cahier de propositions des États généraux.
L’égalité est à la base de ce projet, et elle doit être intégrée par le mouvement de femmes non autochtones qui cherche à répondre à l’appel de solidarité et d’action lancé par le mouvement des femmes autochtones. Il importe de se remémorer qu’en tout temps, nous œuvrons dans un contexte administratif, politique et juridique colonial qui ne reconnaît pas les Autochtones du Québec et du Canada comme des peuples ni des citoyens et citoyennes à part entière, et donc, qui ne reconnaît pas leur égalité. En effet, des « politiques colonialistes d’assimilation, de domination et de contrôle des communautés » régissent encore aujourd’hui tous les aspects de la vie des premiers peuples. Ces politiques stigmatisent, assujettissent et détruisent les individus et leurs communautés, surtout les femmes et les enfants, et génèrent de graves problèmes sociaux en plus de limiter les ressources essentielles à la vitalité des communautés autochtones, ignorant délibérément leurs droits historiques et politiques. Nous sommes loin d’une collaboration égalitaire entre nations puisque ni le palier fédéral ni le palier provincial ne reconnaissent tout à la fois leur statut de peuple autochtone, leurs droits ancestraux et leurs droits à l’autodétermination. C’est dans ce contexte que le mouvement des femmes non autochtones a choisi d’adopter une posture contraire, c’est-à-dire égalitaire et postcoloniale, à l’égard des femmes autochtones, des peuples autochtones et de leurs communautés.
Il a été maintes fois rappelé, pendant les discussions, que les femmes québécoises occupent une situation privilégiée comme membres du groupe culturel majoritaire de notre société. Ainsi, là où les femmes québécoises subissent du sexisme, les femmes autochtones, tout comme celles issues des minorités visibles – qu’elles soient québécoises ou non, subissent l’effet conjugué du sexisme et du racisme, et ce, même de la part de leurs consœurs. La question du privilège « québécois » a suscité beaucoup de discussions, de craintes et de l’incompréhension chez les participantes pour qui il est difficile de percevoir le Québec autrement que comme une province minoritaire dans une Amérique colonisée. Pourtant, à l’intérieur de ses frontières, le Québec aussi est colonisateur.
Les participantes autochtones ont été claires : le « marrainage », elles n’en veulent plus. Pour passer d’un rapport inégal de sauvetage à un rapport égalitaire de collaboration, les Autochtones demandent aux Québécois et aux Québécoises de céder leur part de pouvoir, quel qu’il soit, qui les libérerait de leur position de subordination, de minorité ou de bénéficiaires de services. On peut penser ici aux fonctionnaires ou aux militantes qui ont le pouvoir de coordonner des services ou des actions visant leur bien-être. Les femmes autochtones demandent d’être consultées et que le droit de parole soit partagé. Elles demandent aux femmes non autochtones d’assumer la responsabilité de l’écoute, de la compréhension et du changement de perspective que cela exige. Elles leur demandent d’accepter de prendre le temps et de se déplacer pour s’asseoir aux tables autochtones, et de ne pas chercher à contrôler les procédures ou les contenus des discussions ni à user d’influence sur les décisions qui y sont prises.
C’est dans cet esprit que les femmes autochtones ont demandé aux participantes jusqu’où elles étaient prêtes à s’engager et c’est dans le même esprit que les participantes aux États généraux ont répondu à l’appel. Le mouvement des femmes québécoises s’engage donc aujourd’hui : 1) à exiger une commission d’enquête nationale sur les femmes autochtones portées disparues ou assassinées; 2) à utiliser sa position d’interlocuteur de l’État, « aux moments jugés opportuns par le mouvement des femmes autochtones », pour contrer le colonialisme et favoriser la reconnaissance de leur droit à l’autodétermination; 3) à prendre le temps d’apprendre et de diffuser l’histoire et la culture autochtones, au-delà des préjugés. Le mouvement des femmes québécoises reconnaît également les femmes autochtones comme des gardiennes de modèles de sociétés égalitaires et respectueuses qui ont déjà existé ici, et qui existent toujours, desquels il pourrait s’inspirer dans ses propres luttes.