
Le caractère démocratique d’un gouvernement ne se résume pas, n’en déplaise au premier ministre Stephen Harper, au fait d’avoir été élu. Une telle vision purement électoraliste de la démocratie se révèle anémique : si tout ce qui comptait en démocratie était d’élire les gouvernants, on se demande bien pourquoi nous devrions aspirer à un tel régime ou pourquoi les États non démocratiques devraient se convertir aux vertus de la démocratie.
Quelque chose de plus doit être présent pour qu’un gouvernement mérite véritablement le nom de « démocratie ». Un gouvernement démocratique doit être un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, selon la formule du président Lincoln.
Cela signifie d’abord que le gouvernement doit s’assurer de représenter non seulement les intérêts de son parti et de ses partisans, mais DU peuple dans son ensemble. Cela est tout à fait possible, même dans un système fondé sur des partis, si le gouvernement en place respecte le rôle de l’opposition en se rappelant qu’elle a aussi été élue démocratiquement et en prenant des décisions reflétant la collaboration entre les partis, même si c’est en définitive le parti majoritaire qui tranche. Un tel respect ne teinte malheureusement pas l’attitude du gouvernement qui considère l’opposition comme un obstacle irritant plutôt que comme un allié légitime représentant lui aussi le peuple.
Cela signifie ensuite que le gouvernement doit reconnaître que la contestation citoyenne est un moyen légitime d’exercer un rôle critique et une forme de pouvoir dans un régime qui se veut un gouvernement PAR le peuple. C’est pourquoi les élus ne peuvent impunément museler l’opposition parlementaire par des prorogations intempestives, comme il en a pris l’habitude, et l’opposition citoyenne par une répression policière abusive, comme il l’a fait lors du dernier G20, par exemple.
Cela signifie aussi que le gouvernement doit viser ce qu’il y a de meilleur POUR le peuple. Malheureusement, par l’habitude qu’a prise le gouvernement Harper de mépriser toute forme de contestation — qu’elle émane du Parlement, de la société civile, des fonctionnaires ou des intellectuels et des scientifiques — il se trouve embourbé dans un aveuglement idéologique qui l’empêche de rechercher ce qui est véritablement bien pour le peuple tout en nourrissant les intérêts de ceux qui partagent sa vision de la politique et de l’économie. C’est d’autant plus inquiétant lorsqu’on constate l’influence démesurée des lobbies religieux dans ce qu’on peut cyniquement appeler la « clientèle électorale » des conservateurs.
Les savoirs dont on se prive volontairement peuvent être remplacés par les croyances les plus tordues. C’est ce qui arrive souvent lorsque les conservateurs craignent que certaines connaissances les éloignent de leurs buts. Il faut condamner la réticence de ce gouvernement non seulement à agir en fonction des données les plus évidentes, mais même à rechercher de telles données pour guider son action, notamment sur le plan environnemental.
Le dogmatisme conservateur est également très menaçant pour les connaissances issues des sciences humaines. Pensons par exemple aux modifications apportées au recensement de Statistique Canada qui privent les chercheurs de données essentielles à la compréhension de phénomènes sociaux et économiques. C’est le fait de limiter l’accès à des données socio-économiques fiables qui permet au gouvernement de présenter la nouvelle réforme de l’assurance-emploi comme une mesure favorable aux travailleurs. C’est cette même attitude et ce même mépris pour les analyses sérieuses qui lui permettent d’affirmer que des peines de prison plus sévères réduiraient le taux de criminalité.
La palme du mépris des faits revient cependant à Leona Aglukkaq, ministre de l’Environnement, qui préférait se fier aux histoires de chasse de son frère plutôt qu’aux données scientifiques pour affirmer que les ours polaires ne sont pas menacés!

Ce mépris des faits transforme tout débat en question d’opinion. On a eu raison de s’inquiéter de la volonté de certains députés conservateurs de rouvrir le débat sur la définition du concept d’être humain puisque cette tentative constituait une attaque évidente au droit à l’avortement. Mais ce qui est au moins aussi inquiétant, c’est qu’on soulève ce débat au moment où ce gouvernement sabre le financement de la recherche fondamentale et le réoriente vers les besoins de l’industrie. Or, comment mène-t-on un débat sur ce qui fait de nous des êtres humains si on fait taire du même coup les anthropologues, les philosophes, les psychologues?
Le gouvernement conservateur ne gouverne pas pour tous les citoyens dans le respect de la liberté d’expression et dans la recherche du bien commun. Il mène des batailles partisanes en méprisant les intellectuels et les scientifiques et en pervertissant les institutions démocratiques en faisant preuve d’un cynisme décomplexé.
Que l’on soit ou non d’accord avec les buts que poursuit ce parti, la méthode qu’il emploie constitue une menace à notre santé politique. Souhaitons que ce gouvernement profite de la nouvelle année pour prendre la résolution d’être réellement à la hauteur de ce que devrait être un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.