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La raison ne doit pas s’accommoder

Par Élaine Francoeur le 2013/11
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La raison ne doit pas s’accommoder

Par Élaine Francoeur le 2013/11

Ce qui compte dans le débat sur la Charte des valeurs québécoises, c’est ce qui est évoqué. Ce n’est pas aux personnes auxquelles il faut s’attaquer, mais aux idées.

Le ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne, Bernard Drainville, aurait reçu plus de vingt mille commentaires, de la droite, de la gauche, et de toutes les mouvances qui s’agitent de part et d’autre. Certains essaient de nous faire croire qu’il y a inquisition, d’autres croient assister à une « inquisition inversée ».

C’est du jamais vu au Québec. Cela va plus loin que les enjeux sociopolitiques et les raisons passéistes. Comme si on avait, d’un côté, la religiosité et son veau d’or, puis, de l’autre, Nebucadnetsar et sa statue.

Sans tomber dans l’hyperbole sociale et sembler réfractaires, nous risquons de ne pas paraître gentils ou d’être mal interprétés. Il faut y penser avant que tout cela ne devienne inextricable. L’analyse doit l’emporter sur l’émotion patriotique ou humaniste. Le visage de notre pays a changé, il a plusieurs faces. On ne peut fermer les yeux, même si cela nous donne l’air tellement plus gentil.

Peu importe les droits, ils peuvent parfois être détournés de leur finalité intrinsèque. Comme si on se faisait prendre à notre propre jeu parce que la donne avait changé, lentement, sûrement, dangereusement. Libérés d’une religion totalitaire qui avait, ma foi, bien peu à voir avec Dieu, nous voilà dans une démocratie qui garantit notre sécurité et notre vie privée. Sauf que le paysage de la démocratie n’est plus le même que celui censé suppléer une démographie déficiente, parce que le problème est ailleurs.

Il ne s’agit pas de paranoïa, mais de vigilance. Il faut passer outre la banalisation alors que tous se répondent et font valoir leur parti.

C’est ça la démocratie : tout le monde parle, s’insurge, trop de gens agissent et réagissent et tout passe. La démocratie peut parfois nous perdre quand les trous de sa passoire deviennent trop gros et trop nombreux. Elle porte en elle les formes du totalitarisme, de l’extrémisme, du laxisme, d’une trop grande pluralité, de la propagande, du lobbying, de la manipulation de masse (sondages et statistiques obligent)… sous l’égide du mercantilisme. Oui, c’est devant les puissances étrangères que le gouvernement canadien fait de l’à-plat-ventrisme, les magnats du pétrole de certains pays se targuant de toutes les prérogatives.

On ne voudrait surtout pas être affublés dudit qualificatif : une passoire, notre pays serait une passoire – du sens. Quand la démocratie est exacerbée, on perd aussi le contrôle ; les protagonistes le savent bien. Alors que tout se dit, tout se fait, tout se dédit, se redit, se défait et devient si ordinaire, que tout nous échappe. Tout s’affirme, se confirme, s’oppose, se dépose, s’impose, s’infirme, s’annule et encore.

Nous ne parlons plus d’une langue de bois, d’un langage accommodant, qui ne dit ou n’ose dire. Nous avons affaire à une langue qui se remplit de n’importe quel contenu et dont les référents sont ignorés ou éludés par les locuteurs. Les mots utilisés prennent des directions étranges. Des mots et des interprétations qui se perdent dans une surinformation, une langue qui se déracine, qui en perd son latin et, si j’ose dire, qui prend des directions étrangères et vertigineuses au profit de ceux qui ont soif de vacuité. Parce qu’il faut être gentils et, surtout, ne pas paraître vindicatifs ou xénophobes, pour le bien commun et celui des individus.

Notre démocratie fonctionne selon ce qu’on considère bien ou mal, mais son laxisme peut parfois s’avérer dévastateur. Il faut bien sûr être gentils ; au point de toujours dire oui, de marcher sur des oeufs, de marcher sur son Dieu.

Entre la sécurité et la paix sociale, c’est la sécurité qui prévaut. Au premier degré, nous devons être tolérants, mais sans ouvrir la porte à ce qui échappe au discours. Un des dangers qui nous guette est de verser dans le nihilisme. Parce que tout repose sur la morale et le langage. Rendus là, on tombe dans le trou béant de la vacuité. Il y a toujours quelque chose de voilé dans le religieux, quelque chose de politique, d’insidieux, qui nous échappe.

Nous devons donc être gentils tout en ayant les yeux grands ouverts…

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