Actualité

S’insulter en 140 caractères

Par Éric Sévigny le 2013/09
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S’insulter en 140 caractères

Par Éric Sévigny le 2013/09

Les réseaux sociaux sont à l’origine d’une révolution en matière de démocratie. Alors que l’implication politique et la participation à des événements publics exigeaient un investissement important en temps, les réseaux sociaux permettent à n’importe qui ayant accès à Internet de participer au débat public et de donner son opinion. Cet élargissement de la participation citoyenne offre le potentiel d’améliorer la qualité des discussions et des idées échangées dans la sphère publique. Cependant, comme plusieurs innovations, le Web participatif présente un côté obscur. S’il est possible de s’en servir à bon escient, une partie de la population, souvent sous le couvert de l’anonymat, sévit sur les réseaux sociaux. En accélérant et en dématérialisant nos interactions, les réseaux facilitent la tâche d’individus ayant de mauvaises intentions.

Les réseaux sociaux plongent les internautes dans l’ère de l’instantanéité. Bombardés d’information, ils sont appelés à se prononcer immédiatement sur plusieurs enjeux afin de ne pas sembler hors contexte, ce qui laisse peu de temps à la réflexion. Plus d’un jour après une nouvelle, une opinion semble déjà caduque. La vitesse des réseaux sociaux n’incite pas à la recherche d’information complémentaire. Pour ne pas manquer l’occasion de donner son opinion, l’internaute est amené à tirer ses propres conclusions et à imaginer lui-même les éléments absents de l’événement sur lequel il se penche. Ainsi, en raison de la vitesse à laquelle y voyagent les rumeurs et les informations incomplètes, les réseaux sociaux amplifient les anecdotes et les transforment en scandales. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de voir sur Internet des prises de position qui mériteraient une analyse plus fine.

En plaçant au centre de leurs principes la popularité, laquelle est calculée en fonction du nombre d’interactions qu’une personne est capable d’engendrer, les réseaux sociaux favorisent les commentaires surprenants, forts, voire assassins. Bien entendu, les réactions qu’un commentaire suscite ne constituent pas un bon indicateur de sa qualité et de sa profondeur. Au contraire, une analyse nuancée risque de laisser indifférent, alors qu’un commentaire choquant oblige une réponse, laquelle peut être tout aussi extrême. De plus, le fait que les internautes peuvent se cacher derrière un avatar ou qu’ils n’ont pas à côtoyer dans le monde réel les individus ou les groupes qu’ils visent favorise les commentaires violents.

Pour ne pas manquer l’occasion de donner son opinion, l’internaute est amené à tirer ses propres conclusions et à imaginer lui-même les éléments absents de l’événement sur lequel il se penche.

Les réseaux sociaux représentent donc un terreau fertile pour les opinions extrêmes. Cet échange d’insultes et de propos agressifs nuit, sans surprise, au débat. Toutefois, le problème le plus sérieux avec ce genre de commentaires n’est pas qu’ils risquent de heurter la sensibilité d’individus (bien que cela demeure un problème), mais qu’ils tendent à polariser et à cristalliser les débats. En effet, dans une étude menée, entre autres, par le Center for Climate Change Communication du George Mason University, des chercheurs ont montré que les messages contenant des propos agressifs ou choquants avaient pour effet de camper le lecteur dans sa position1. Plutôt que de susciter une remise en question, ces commentaires encouragent les croyances préexistantes et démotivent le lecteur à chercher plus d’information pour mieux comprendre un enjeu particulier. Cette cristallisation divise les internautes en positions irréconciliables. Alors que les buts d’un débat devraient être de rechercher des solutions communes et de montrer le bien-fondé de différentes positions, les réseaux sociaux peuvent au contraire isoler les individus et les fermer aux arguments des autres.

Le Québec fait face à de nombreux enjeux sur lesquels la population doit se prononcer. L’accessibilité aux études, la redistribution de la richesse, la prestation des soins de santé ainsi que la juste punition que doivent recevoir les individus ayant commis un crime sont autant de sujets qui divisent la population. Afin que le débat soit bénéfique et pertinent, il est impératif que les commentateurs fassent preuve de civisme et qu’ils se concentrent sur les arguments au lieu de tenter de déstabiliser leurs adversaires politiques. Bien que les réseaux sociaux favorisent les excès, nous avons comme responsabilité d’en faire un lieu d’échanges et non de railleries. L’ingéniosité des Québécois ne sera que plus grande si chacun fait preuve de civisme. De toute manière, même si les insultes ne nuisaient pas à la qualité des débats, le Québec n’aurait rien à gagner de tels échanges.

  1. Chris Mooney, « The Science of Why Comment Trolls Suck », Mother Jones, 10 janvier 2013, www.motherjones.com.

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