L’intention était bonne, et c’était émouvant de voir Paul McCartney dédier « Let it be » aux sinistrés de Lac-Mégantic lors de son concert à Québec. Certes, il fallait saluer la résilience de cette population frappée de plein fouet par un train fou venu déverser la mort et la désolation. Cette chanson, l’ex-Beatle l’a écrite à l’époque où la faille sismique qui a mené à la séparation du groupe commençait à faire ses ravages et où la fin devenait inéluctable. Peu de temps après, comme pour donner le contre-chant à son alter ego, John Lennon enregistrait sur son premier album solo la chanson « God » qui se clôt sur ce dur constat : « The dream is over ». En effet, le rêve fou partagé par toute une génération, celui de l’amour, de la paix, celui de la synergie créatrice et de notre capacité à changer le monde, cette utopie incarnée par ce groupe mythique venait de prendre fin abruptement.
Il va de soi que face à un drame horrible comme celui qu’a vécu la population de Lac-Mégantic, impuissance et résignation semblent les seules postures possibles. Mais il ne faut pas perdre de vue les causes de cette catastrophe. Et, si on regarde de ce côté de la lorgnette, c’est plutôt au titre boutade de l’album de Frank Zappa paru en 1968, We’re Only in It for The Money, que je serais porté à songer. Ceux qui sont à l’origine de cette tragédie n’avaient manifestement qu’un seul impératif dans leur plan d’affaires : maximiser les profits. Au détriment de la plus élémentaire des prudences, au détriment du respect de la vie humaine et de l’environnement.
Depuis Reagan, depuis Thatcher, les idéologues et les politiciens de droite n’ont qu’une lubie en tête : la dérèglementation. Leur credo demeure toujours le même : il faut laisser le marché opérer librement en lui imposant un minimum de contraintes, il va s’autoréguler. Comme si les prédateurs allaient spontanément renoncer à leurs prérogatives. Comme si l’oiseau de proie se posait des questions d’ordre moral ou éthique avant de fondre sur sa victime. Et les capitalistes ont la mémoire courte. Souvenez-vous, pendant la crise des « subprimes », celle qui secoue encore l’Europe et le monde, souvenez-vous d’un Sarkozy qui clamait sur toutes les tribunes qu’il fallait réformer le capitalisme. Mon œil, chose, tu peux toujours compter sur des bonzes comme Stephen Harper pour exaucer tes vœux. Avec le pétrole visqueux qui coule dans ses veines au lieu de ce sang rouge et chaud qui hier encore faisait battre le cœur des enfants disparus à Lac-Mégantic, tu peux être certain que son plus grand rêve est de freiner l’ardeur des développeurs à tout crin et la fougue de ses amis d’Alberta.
« Let it be », qu’est-ce que ça signifie, finalement ? « Let it be », ça veut dire : « c’est inéluctable, c’est le destin, ces choses devaient arriver et il vaut mieux se résigner, panser ses plaies et passer à autre chose ». « There will be an answer. » Non. Il n’y aura pas de réponse, pas de réponse apportée par une industrie dont la seule motivation est le profit. Pas de réponse formulée par une engeance aux ramifications internationales dont le seul leitmotiv est la cupidité et l’appât du gain. La réponse, elle ne peut émaner que de nous, le monde ordinaire, nous qui payons toujours la facture en bout de ligne, tout comme nos parents qui ont casqué pour ces rails et ces gares dont on veut aujourd’hui nous priver.
Et maintenant on voudrait nous vendre un pipeline « full sécurité » qui serpenterait dans nos magnifiques campagnes en bordure du fleuve Saint-Laurent pour aller livrer son venin à l’autre bout du monde, en nous laissant pour toute compensation l’angoisse d’un éventuel déversement. Un pipeline, c’est comme un python dans la chambre à coucher d’un enfant, tu sais jamais quand la cage va s’ouvrir et que la bête va s’échapper. Mais, selon la loi des probabilités, c’est certain que la cage va s’ouvrir un jour. Une autre séance de résilience collective en vue ? En reprenant en chœur au coin du feu les paroles lénifiantes de « Let it be » ?