Champ libre

Les failles du monde sous l’objectif d’Isabelle Hayeur

Par Sandra Mathieu le 2013/09
Image
Champ libre

Les failles du monde sous l’objectif d’Isabelle Hayeur

Par Sandra Mathieu le 2013/09

Paysages semi-submergés posant un regard sur des sites pollués, images à mi-chemin entre la carte postale et le plan d’aménagement déroutant, vision de la banlieue anonyme, standardisée et uniforme, compositions visuellement instables, Isabelle Hayeur n’y va pas avec le dos de la cuillère pour confronter le regard du passant à des images-chocs dans lesquelles elle aborde l’habitat, le paysage et l’occupation du territoire. Son œuvre questionne aussi les comportements nord-américains en matière de développements immobiliers, de préoccupations environnementales et d’éthique légitimant les avancées réalisées au nom du progrès.

Jusqu’au 15 septembre 2013, l’artiste proposait Vraisemblances au Musée régional de Rimouski. Cette exposition composée de quatre corpus distincts (« Underworlds », « Excavations », « Maisons modèles » et « Destinations ») permettait de découvrir des images constituées de diverses prises de vue photographiques, réalisées sur un même site ou, au contraire, provenant d’endroits fort différents.

Montréalaise ayant grandi en banlieue, Isabelle Hayeur exprime ses préoccupations sur les transformations que subissent les paysages. Au fil de l’exposition, les images sorties de son imaginaire nous amènent pourtant à nous questionner sur le réel.

« Les photomontages d’Isabelle Hayeur, actualisés par la capacité du numérique d’effacer complètement les cicatrices du collage, forment des images vraisemblables et introduisent la notion de doute qui constitue un changement significatif dans la perception de ce mode de saisie du réel qui est encore souvent considéré comme l’ultime façon d’établir les faits », souligne le commissaire de l’exposition, Marcel Blouin.

Mi-eau, mi-terre

Les images les plus saisissantes sont certainement celles prises grâce à un appareil photo submersible. Isabelle Hayeur photographie à partir d’une perspective qui nous est peu familière, en évitant de se placer à hauteur d’homme. Ces vues « de l’intérieur » créent un rapport de proximité entre l’observateur et les sites documentés. Elles nous rapprochent de ces milieux en nous plongeant, en quelque sorte, dans leurs situations.

« Pendant plus de 20 ans, j’ai habité près des berges d’une rivière devenue polluée. J’ai longuement observé les transformations de ce cours d’eau, les mutations de ses écosystèmes et la disparition de certaines des espèces animales qu’elle hébergeait. Je souhaitais créer un corpus qui témoignerait de ces bouleversements d’origine anthropique », confie Isabelle Hayeur en faisant allusion à sa série « Underworlds ». « Les paysages aquatiques que je sonde ont été fortement altérés. Ce sont parfois de véritables déserts qui n’offrent plus rien à voir. Les images que je capte témoignent de cette absence. »

L’art pour questionner les habitudes humaines

« Je ne peux pas croire qu’on ferme les yeux sur ces “affrosités” et qu’on ne fait rien pour les arrêter », lançait un homme outré lors du vernissage de l’exposition Vraisemblances en juin dernier. Une dame lui répondait tout de go : « Eh bien, il y a cette exposition, c’est déjà un pas ! »

De plus en plus, le travail des artistes permet de s’arrêter et de poser un regard sur le monde qui nous entoure. Par exemple, l’artiste-peintre Caroline Jacques de Saint-Fabien attire notre attention sur les espèces menacées avec son Hommage aux baleines, tandis que la photographe Joan Sullivan et la journaliste Susan Woodfine se penchent sur l’impact des changements climatiques sur les populations côtières de l’est du Québec dans leur documentaire Les berges à la dérive. On peut également se rappeler le passage de l’exposition Entrevoir le pire du Bas-Laurentien Louis-Philippe Côté au Musée régional de Rimouski au printemps dernier.

Un constat d’impuissance habite la plupart des êtres humains lorsqu’ils réalisent où va le monde. Pourtant, là où certains sont fatalistes quant à l’avenir de la planète, d’autres gardent espoir, se donnent pour mission de dévoiler au grand jour l’envers du décor, rallient les troupes et proposent à leur façon des pistes de solution.

Partager l'article

Image

Voir l'article précédent

De quelques échos émus

Image

Voir l'article suivant

Désobéissance civile à la rivière Romaine