Culture

La fin du monde, la fin d’un conte ?

Par Fred Pellerin le 2013/09
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Culture

La fin du monde, la fin d’un conte ?

Par Fred Pellerin le 2013/09

Ce que la chenille appelle la fin du monde, le sage l’appelle le papillon. — Richard Bach

Les ténèbres se posèrent sur la terre. Ce fut la fin du monde.

— Ça marche pas !

J’avais onze ans. Je ne pouvais pas croire à cette fin du monde rétroactive. Ils avaient réglé la dette. Ils s’étaient parlé avant l’échéance des quarante-huit mois.

— Il y a un problème de logistique dans ton histoire, mémère !

Et elle m’avait expliqué que l’orgueil avait planté ses racines creux dans le cœur de la piasse. Que les dommages dépassaient de loin les frontières du Caxton. Que l’issue était inévitable.

— Ç’a été la fin du monde, mon petit homme.

— Je savais que ça finirait mal…

— Une histoire qui finit mal ? Non. C’est une histoire qui est pas finie !

J’avais onze ans. J’étais viré à l’envers.

— Si la fin du monde est passée, ça veut dire qu’après ça, il y a plus d’histoires ? Plus de contes à se dire ?

— Les contes… Il faut pas être nostalgique, mon petit homme. C’est l’évolutionnage. Reste les comptes de banque. Aussi longtemps qu’on laissera la terre tourner autour du dollar, la planète tiendra dans un équilibre fragile sur les deux immenses colonnes de chiffres séparées en crédits et en dépits. On placera la carte du monde sur une grille excel, et les rivières deviendront des potentiels de kilowattages, et les forêts seront mises sous tutelle. Les plus beaux paysages seront à la merci de la concentration du minerai présent dans chaque pouce cube de leur sol. Les peuples deviendront des marchés ; et la confiance, un indice à la bourse. Même le paradis sera fiscal.

— Et le soleil, il faudrait faire quoi pour le remettre à sa place ?

— Il faudrait repasser par le grand zéro, mon petit homme. Peut-être juste à mettre nos dettes en commun pour se rendre compte de la grande illusion. Le grand zéro. Refaire la partance. Chercher plus loin que le prix, pour retrouver la valeur. Aller voir derrière le chiffre, pour retrouver ce qui fait nombre.

Faire nombre.

— Le jour où on sera assez nombreux à espérer ensemble, le soleil pourra peut-être se relever.

Il faudrait repasser par le grand zéro, mon petit homme. Peut-être juste à mettre nos dettes en commun pour se rendre compte de la grande illusion. Le grand zéro. Refaire la partance. Chercher plus loin que le prix, pour retrouver la valeur. Aller voir derrière le chiffre, pour retrouver ce qui fait nombre. Photo : Survivetheapocalypse.com

Il est trop tard pour être pessimiste. — Yann Arthus-Bertrand

Le moment sacré

Quand il viendra le moment, il se trouvera, sur une montagne perdue dans le nord de l’Amérique, un gars dépeigné installé sur une souche avec, dans une couverture chaude, trois enfants blonds. Deux petites filles et un petit garçon. Ils seront posés là, immobiles, les yeux plongés dans le bleu éternel, à attendre le spectacle d’un soleil qui se lève. Bientôt, ils verront apparaître dans l’horizon les premiers morceaux de violacé. Progressivement, le ciel passera par le rouge pour venir se transvider dans les orangés. Pendant ce temps où le spectre du ciel déroulera ses teintes, on verra venir du monde sur la montagne. Ce seront des dizaines de décravatés et de décrayonnés, des centaines d’amoureux par les mains et par les cœurs, des milliers de familles en pères, mères et enfants, tous à prendre place sur le cap de roche. Et à voir grimper l’indice du jaune. Jaune et rejaune. Jusqu’à l’intensité maximale. Jusqu’à l’or. Jusqu’à ce que la montagne d’en face n’en puisse plus de se retenir de sa gestation de millénaires et qu’elle fende enfin pour laisser monter, dans le ciel neuf, le soleil.

À ce moment, le gars dépeigné va se lever avec ses trois enfants pour ne rien manquer de l’éblouissement.

— Vous voyez ? C’est la lumière. La lumière, ça n’appartiendra jamais à personne.

Ce sera le début d’une histoire. Et l’humanité qui se tiendra là, dépeignée, dépeignée mais surtout debout dans la lumière, à espérer, cette humanité, peut-être que ce sera la nôtre.

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