La règle est droite, la vie est courbe. – Proverbe
L’an dernier, des merles avaient fait leur nid dans le coin ouest de ma gloriette. Ma chatte Inouïe les en avait délogés. Les petits œufs turquoise fracassés. Cette année, les merles ont choisi le coin nord. Avec le même résultat. J’ai gentiment grondé la chatte, pour la forme, pendant qu’elle me regardait ramasser le nid.
À ma grande surprise, les oiseaux ont rapidement édifié un nouveau nid, dans un autre coin. J’ai décidé, je ne sais pourquoi, appelons cela « sentimentalisme », de le protéger. Il me suffisait de rappeler doucement la chatte si elle s’y intéressait de trop près. Appelons ça « chantage affectif ». Ma seule assurance était qu’elle n’attaquerait pas le nid en ma présence.
Les œufs ont éclos, deux becs à nourrir pointaient du nid. Ce que je n’avais pas prévu, c’est le mode « alerte » des parents dès que je mettais les pieds au jardin : un cri lancinant, pénible, et surtout répétitif. Impossible de lire ou d’écrire en paix. Alors je me suis surprise à penser… Bref.
On ne peut empêcher un chat d’être un chat, et un merle d’avoir une cervelle d’oiseau, mais qu’en est-il de l’homo sapiens ? Sommes-nous perfectibles ? Si l’on en croit la tradition, de Confucius à L’Imitation de Jésus-Christ, il le semble. Sans compter le succès de l’industrie de la croissance personnelle qui tire ses choux gras de cette croyance. Certains sont moins optimistes et croient que notre cerveau, le même depuis le paléolithique, ne sait que fuir ou combattre. Comme l’espèce humaine aura besoin sous peu d’une planète et demie pour satisfaire son appétit d’ogre, alors on se battra pour les restes. D’autres croient plutôt que l’empathie a été un moteur de l’évolution. Certaines découvertes en neurologie tendent à montrer une certaine plasticité du cerveau, chaque individu présenterait une configuration singulière.
Chose certaine, on avait mis beaucoup d’espoir dans la voie de la Raison, mais les Lumières n’ont pas enrayé les guerres, les génocides, les viols, l’esclavage. La Raison n’élimine pas les passions.
Passion et raison, nature et culture, corps et esprit, inné et acquis, individu et société, division nord/sud de la richesse, le monde dans lequel on vit est un monde clivé, un monde de dichotomies. L’abondance de nos connaissances scientifiques semble ne rien résoudre, l’accélération des changements est vertigineuse, l’écran est plein, trop plein.
Submergé par la complexité, on peut s’étourdir dans le divertissement à tout crin ou la consommation effrénée. Ne plus savoir à quel saint se vouer. Jouer l’autruche. Ou cesser de croire aux banquiers. Se raconter une nouvelle histoire où nature et culture fusionnent pour que l’énergie du vivant occupe la place centrale. Utopie ?
C’est la jeune génération qui devra relever le défi de renverser la vapeur d’un monde qui fonce droit dans le mur. Quand je pense à ces jeunes de la défunte CLASSE, capables de passer des heures à discuter dans un cadre de démocratie directe, ayant décidé de bannir les applaudissements pour ne pas nuire à la fluidité des débats et d’exprimer plutôt leur approbation en agitant les mains, quand je pense à tous ces jeunes qui ont marché jour après jour, pendant des mois, je me dis que cette génération est fort probablement mieux équipée que la mienne pour faire face à la complexité actuelle. Elle vit dans un monde plus complexe que ne l’était le mien au même âge. Ils sont idéalistes ? Certes, mais on n’a jamais eu autant besoin d’idéalistes, car il nous faut passer de la fiction de l’argent à une histoire de bien commun, de terre féconde à protéger, de récoltes à partager. Ces jeunes sont aussi plus pragmatiques que nous ne l’étions.
Pas facile d’accepter de se sentir dépassée. Le prix à payer pour croire en l’avenir. Ma génération avait aussi ses utopies de jeunesse nées de la crainte d’une guerre atomique : la naïveté du peace and love, la liberté pour tous, l’imagination au pouvoir et des rêves bucoliques de retour à la terre.
Les grands changements sont toujours induits d’abord par une minorité, jusqu’à un point de bascule. Cultiver son jardin, comme dirait Voltaire, pour que la terre, l’air, l’eau, la connaissance nourrissent la vie. Une utopie vraiment ?