Champ libre

De quelques échos émus

Par Claudie Gagné le 2013/09
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Champ libre

De quelques échos émus

Par Claudie Gagné le 2013/09

Nous émergeons à peine du premier Festival du mot vivant, qui s’est tenu les 17 et 18 août derniers en différents lieux de Rimouski. Ce festival, hautement improbable a priori, pur produit d’un rêve, s’est non seulement matérialisé, mais bien terminé ; il continue néanmoins de marcher, car il est annoncé « perpétuel », c’est-à-dire non limité à un moment particulier de l’année et assuré de ressurgir çà et là dès l’automne et au cours des prochains mois sous des formes que nous espérons inattendues.

Des formes inattendues ? Oui. L’inattendu à l’heure où il est requis de toute création et de toute instance créatrice de s’inscrire dans une catégorie déjà existante, à l’heure où l’exigence de cohérence enferme au lieu d’ouvrir. Le mot vivant est pulsionnel et veut qu’on l’assume en l’état.

Avec son énergie, continuer de proposer, au gré du hasard, de la libre association, des rencontres réelles, incarnées, imaginaires ou impossibles, des formes cultivant le choc de ce qui ne va pas nécessairement ou pas du tout ensemble. Par nature dérangeant, le mot vivant est un manifeste en soi.

À la faveur d’intersections humaines inédites, penser à créer dès lors ce qui peut émerger de ces rencontres et se faire un point d’honneur d’en témoigner sur place. De manière picturale, scripturale, gestuelle, vocale, prendre le parti du mot en acte, tel qu’il nous habite, tel qu’il nous agite. Le mot vivant est insubordonné mais aime partager.

Alors inventer le plus souvent possible, et non une fois pour toutes, un cadre souple pour donner à entendre à sa manière le sens du mot vivant. Ouvrir sur l’espoir, sur la possibilité de jouer, de se réapproprier sa vie, malgré l’évidence de la perte (puisque de la vie on ne sortira pas vivant). Mortel, le mot vivant est lucide, mais aussi perpétuel romantique, et ne s’en cache pas.

Se la jouer libre et gratuite et, pendant quelque temps, en profiter pour se jouer de la contrainte. Si, elle existe, et on ne le nie pas ; seulement, on décide un moment d’en rire, et on le dit. Donner librement lieu à son soulèvement poétique intérieur. S’élever contre la règle, le canon esthétique, et les braver à la faveur d’expressions populaires humoristiques ou recherchées, cultiver les tensions entre registres soutenu et familier. Oui, pourquoi pas, forts de nos mots vivants, soyons « épiques », soyons « intenses ». Le mot vivant ne peut s’interdire, il en va d’un droit acquis que, trop souvent oublié, il faut plutôt s’employer à réhabiliter. Ludique, le mot vivant n’en est pas moins un jeu sérieux.

Laisser parler la présence, celle qui est intelligente de ce qui ébranle l’humain. La libérer, afin qu’elle monte de ses terres d’origine, et constater, ô surprise, qu’elle rejoint l’universel en nous. Le mot vivant est lyrique et s’en revendique publiquement.

À partir de là, se laisser remuer, retourner, décrisper, mais surtout se laisser appeler à faire germer et s’échapper d’autres mots vivants à donner, à relayer à nos contemporains, valeureuses compagnes et valeureux compagnons du sens retrouvé. Le mot vivant, ouvertement anachronique, est un espace apatride mis à la disposition du plus grand nombre.

Le mot vivant, c’est la plus petite unité de la parole subjective : de nature éphémère, vibrante, imprévisible, intempestive et désintéressée, il est tout ce qu’on peut opposer au ressassement des discours politiques, à la glorification des ego, à la prolifération des conformismes, au calcul du calcul de la position d’autrui, à l’endormissement progressif de la créativité, de la conscience critique. L’événement est naissant, mais certes déjà promis à une vie active, car sa mission, nécessaire, est renouvelable dès maintenant. Et d’autres mots vivront, ouvertement éclairés, candides, scandaleux et absurdes, qui se feront authentique contrepartie esthétique des vrais scandales quotidiens et absurdes qui eux s’ignorent.

Le Festival du mot vivant, une production des Pelleteux d’images, a reçu l’appui du département de Lettres et humanités de l’Université du Québec à Rimouski ; il vise la rencontre mouvante, libre et non convenue des littéraires et des universitaires.

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