
Le concept de souveraineté alimentaire est populaire et l’idée de favoriser l’achat des aliments produits ou transformés au Québec ne peut qu’être sympathique. Mais on ne fait pas une politique agricole avec un titre passe-partout et une campagne incitative d’achat chez nous. Surtout quand l’agriculture au Québec est à l’heure du « démantèlement » sous la pression des multinationales de l’agroalimentaire. L’incontournable rapport Pronovost Le rapport Pronovost avait très bien expliqué que, sans une réorientation du soutien financier, des réseaux de mise en marché, de l’accès à la zone agricole, des réglementations sanitaires et environnementales et de la représentation syndicale, l’agriculture du Québec ne pourrait se repositionner et se diversifier pour répondre aux exigences des nouveaux marchés et aux attentes des citoyens soucieux de leur environnement et de leur santé. Or, la nouvelle politique agricole, qui récupère malhonnêtement un concept élaboré pour défendre l’agriculture paysanne menacée par le libre-échange, ignore totalement les sages recommandations du rapport Pronovost. Ces recommandations ont pourtant été largement appuyées ; mais l’Union des producteurs agricoles (UPA) y a vu dès le départ une remise en question inacceptable de son contrôle absolu sur le secteur agricole. Le gouvernement n’a pas eu le courage de briser ce monopole qui étouffe et marginalise le développement de la nouvelle agriculture écologique et des circuits courts de mise en marché sans lequel on ne saurait parler de souveraineté alimentaire. Souveraineté de l’agrobusiness Il saute aux yeux qu’une campagne incitative d’achat chez nous ne peut à elle seule régler la crise agricole actuelle. D’abord, ne nous y trompons pas, les aliments du Québec dont il est ici question demeurent, pour l’essentiel, des aliments industriels et non des aliments provenant de producteurs artisans locaux. Monsanto est là pour rester dans nos campagnes, même si le ministre Gendron estime bien naïvement que les agriculteurs ont déjà largement réussi le virage vert. L’utilisation d’OGM, d’engrais chimiques, de pesticides contaminant les cours d’eau ne cesse d’augmenter malgré des initiatives agroécologiques ici et là, alors que la part de l’agriculture et des aliments biologiques se maintient depuis dix ans autour d’un pour cent. De plus, il y a fort à craindre que les marges bénéficiaires des grandes chaînes d’alimentation et les budgets d’austérité des institutions publiques ne puissent permettre une augmentation substantielle des achats d’aliments du Québec. Encore faudrait-il qu’ils soient disponibles en quantité et aux conditions requises : le Québec n’est pas la Floride ! Les mesures promises pour resserrer l’achat des terres par des étrangers ne pourront empêcher les agriculteurs de se départir de leur terre si elle ne leur permet plus de vivre. Quant aux modifications promises à la Loi sur la protection des terres agricoles, il serait étonnant d’y retrouver les sages recommandations du rapport Pronovost et du rapport Ouimet, qui permettraient enfin d’ouvrir la zone agricole aux producteurs artisans et de planifier la diversification des usages en zone agricole dans les régions en dépeuplement. Un autre élément de cette politique est très inquiétant. L’élaboration des mesures concrètes pour appliquer la politique est confiée à une table de 22 partenaires, composée essentiellement des acteurs qui dominent le secteur, notamment l’UPA et ses commettants, l’industrie agroalimentaire et des organismes civils qui ont tous des dépendances non avouées à l’UPA, comme les municipalités, Solidarité rurale et Équiterre. Il est clair que ces partenaires dominants vont imposer leur agenda au gouvernement. Un peu comme le comité VIP que le gouvernement a concédé à l’industrie forestière dans le nouveau régime forestier « pour conseiller le ministère des Ressources naturelles », sans passer par les canaux démocratiques. Il ne serait pas étonnant que la nouvelle loi sur les mines fasse de même pour les industries minières. Confirmation du statu quo Rien dans cette politique ne permet d’espérer un meilleur financement de l’agroécologie, une diminution des contraintes abusives que lui créent les quotas, les plans conjoints, les agences de vente obligatoires, l’absence d’abattoirs de proximité, les règlements sanitaires inappropriés aux productions artisanales, la gestion mur à mur de la zone agricole, le prix des terres, la prolifération des OGM, le monopole syndical : l’UPA et son modèle monopolistique continueront à occuper tout l’espace agroalimentaire et à contrôler le ministère de l’Agriculture et les instances agricoles, y compris les institutions de formation agricole. En somme, la politique annoncée reconduit, pour l’essentiel, le statu quo et fait fi de 15 ans de dénonciation, de consultation et de prises de conscience concernant le modèle d’agriculture industrielle. Faute d’agir, le gouvernement laisse le champ libre aux forces du marché et au pouvoir des multinationales pour s’approprier nos terres à leur fin, assujettir les agriculteurs à leurs objectifs et continuer à marginaliser tous ces jeunes qui tentent d’inventer une nouvelle agriculture, territoriale et écologique. Le Québec dispose pourtant de tous les outils pour donner une impulsion sans précédent à la production d’appellation, biologique, locale et multifonctionnelle, sans pour autant ignorer le secteur industriel. Et si cette agriculture industrielle n’avait plus d’avenir et s’autodétruisait elle-même en détruisant ses propres bases : les sols, l’eau, la biodiversité, le pétrole, la nature ! L’auteur est coordonnateur de la coalition SOS-Pronovost et ex-président fondateur de l’Union paysanne.