Culture

Joseph-Charles Taché et l’homme de foi soucieux de « faire son salut »

Par Claude La Charité le 2013/07
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Joseph-Charles Taché et l’homme de foi soucieux de « faire son salut »

Par Claude La Charité le 2013/07

De tous les auteurs qui ont écrit sur l’ermite de l’île Saint-Barnabé, aucun n’a eu autant d’influence que Joseph-Charles Taché qui a consacré au solitaire deux articles publiés à 20 ans d’intervalle, en 1846 et 1867. Médecin, député, représentant du Canada à l’Exposition universelle de Paris et premier Québécois à être décoré de la Légion d’honneur, Taché vécut de 1844 à 1857 à Rimouski, où il fonda un Institut littéraire auquel il légua 500 volumes de sa bibliothèque personnelle. C’est également ici qu’il écrivit la majeure partie de son œuvre littéraire : Trois légendes de mon pays, Forestiers et voyageurs et L’île Saint-Barnabé, publiés après coup dans la revue Soirées canadiennes.

Deux ans à peine après son arrivée à Rimouski, Taché rédige pour l’Institut littéraire de Montréal un article décrivant le coin de pays où il a décidé de s’établir. Il est fasciné en particulier par la verve des vieux conteurs et c’est tout naturellement qu’il évoque l’histoire de l’ermite qu’il tient du grand-père de sa future épouse, Charles Lepage, décédé quelques mois auparavant en mars 1846 à l’âge canonique de 92 ans. C’est ce dernier qui, à l’âge d’à peine 13 ans, aurait retrouvé l’ermite agonisant dans sa maison un beau jour de janvier 1767. La version que Taché donne alors de Toussaint Cartier porte clairement l’empreinte du conteur qui, pour captiver son auditoire, n’hésite pas à embellir son histoire : « Un jour d’automne […], arrive ici un homme d’environ cinquante ans, il s’appelait Toussaint Cartier, natif de Saint-Malo, avait servi dans la marine française et se disait cousin de Jacques Cartier, à la vue de l’île il s’écrit :

« Sur cette île sauvage, Ferai mon hermitage. » »

S’il ne fait pas de doute que Charles Lepage a connu personnellement le solitaire, il reste qu’il est peu probable que ce dernier se soit confié à lui. L’origine malouine qu’il lui prête tient au fait que la tradition orale à Rimouski prétendait que l’ermite était un descendant de Jacques Cartier qui mourut pourtant sans enfant. Par ailleurs, si Toussaint Cartier s’était fait ermite à l’âge de 50 ans, il aurait eu plus de 90 ans au moment de sa mort. On voit bien à quel point le vieux conteur, lui-même nonagénaire, a pu se projeter dans le personnage, en lui prêtant certains de ses propres traits, voire une vie d’ancien marin riche en aventures de toute sorte.

Laisser parler les archives

Vingt ans plus tard, en 1867, Taché publie un nouveau texte, consacré cette fois à l’île Saint-Barnabé, où l’ermite occupe la première place. Le ton a complètement changé. Il ne s’agit plus pour l’auteur de relayer la tradition orale, si pittoresque soit-elle, mais plutôt de laisser les documents d’archives parler d’eux-mêmes. Il retranscrit ainsi l’acte de 1728, dans lequel le seigneur cède une partie de l’île à l’ermite, de même que l’acte de décès de Toussaint Cartier. L’intention première de Taché est en fait de rétablir les faits et de réfuter l’histoire d’amour tragique que Frances Brooke prêtait à Toussaint Cartier dans son roman épistolaire de 1769. Loin d’être un veuf inconsolé, l’ermite aurait consacré sa vie à la solitude dans le seul et unique but de « faire son salut », comme le précise l’acte de 1728. L’expression frappe l’imagination de Taché tant elle est conforme à ses valeurs de catholique convaincu : « Voilà un contrat qui mérite d’être connu et conservé, un contrat fait pour la considération de « faire son salut » ! Ce contrat a été observé par les parties contractantes, pendant tout près de quarante ans, avec cette fidélité et cette honorabilité qui caractérisent les temps de foi et les hommes de foi. »

Taché a beau retranscrire les documents, il reste qu’il est animé par la volonté évidente de donner l’ermite en modèle. Il incarne à ses yeux l’identité canadienne-française à son meilleur, car Toussaint Cartier est à la fois français, catholique et appartenant à l’époque de la Nouvelle-France, cette période de l’histoire que Taché ne cesse de magnifier et qu’il considère comme « les temps héroïques » de notre histoire. La conclusion de son texte qu’il remanie en 1885 pour le publier en livre ne laisse aucun doute sur cette intention d’embrigader l’ermite au service de la cause nationaliste et ultramontaine, chère à l’auteur : « Restons ce que furent nos ancêtres : catholiques, français et monarchistes ! »

Entreprise à l’époque où il était encore à Rimouski, la rédaction de ce deuxième et dernier texte sur l’ermite fut achevée à la fin de l’année 1866 et parut dans la dernière livraison de la revue Soirées canadiennes au début de l’année suivante, 100 ans exactement après la mort de Toussaint Cartier et l’année même où Rimouski accueillit le siège d’un nouveau diocèse. En faisant paraître un tel article, Taché faisait d’une pierre deux coups : il faisait de l’ermite la parfaite incarnation de ses idées et apportait sa pierre à l’édifice de la future cathédrale de Rimouski.

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