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Ceci n’est pas un poème

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Ceci n’est pas un poème

Créé à l’occasion des Rencontres de musiques spontanées, dont c’était la 16e édition en avril dernier, Ceci n’est pas un poème est un concerto semi-improvisé, écrit et orchestré par Éric Normand et Raphaël Arsenault. Le premier donnant plus dans la musique improvisée et le second dans la musique écrite, leur rencontre a donné lieu à une impressionnante performance où se mélangeaient jazz, musiques d’ambiance, musiques contemporaines et quelques passages venus des traditions musicales dites du monde. Au centre, telle la colonne vertébrale d’une partition en six mouvements, se dressent des textes de prisonniers politiques de différentes allégeances et de différentes époques. Récités, déclamés, chantés, criés, ces fragments ne font pas office d’éditorial ; ils retracent plutôt une condition humaine précise : celle de l’enfermement. L’inhumanité dans laquelle la torture infligée plonge graduellement le prisonnier, voilà où convie ce non-poème.

Les crissements de violons, les cris de cuivres et les tapotements de percussions font ici écho aux tentatives de communiquer de celui qui ne le peut pas, pour ensuite faire place à un air dansant d’un quelconque chant patriotique. Les passages de l’un à l’autre, d’apparence incongrue, viennent pointer efficacement, et sans jugement ni allégeance, la fondamentale possibilité d’exprimer les croyances et appartenances politiques de toute personne, quel que soit le côté du mur où elle se trouve. L’ombre s’étale ainsi avec efficacité sur cette abomination de la mise en cellule de l’être pensant, privé de son essence. Si une prise de position devait être énoncée à propos de ce spectacle, c’est celle de l’humain. Point.

Sur scène, les neuf musiciens, tout en évoluant dans un cadre déterminé, ne cessent de prêter oreille à ce que joue chacun. Ce souci de l’ensemble et du contrôle des parties improvisées les font plus ressembler à des vases communicants qu’à des électrons libres. Et l’auditeur y trouve son compte, car cette impression d’évolution sur une corde raide le garde attentif sur le bout de sa chaise. Le mélange de faits ou d’informations froides mises en avant par les textes, notamment l’énumération des noms des groupuscules politiques, avec l’expressivité instrumentale, n’est pas sans rappeler Le trésor de la langue de René Lussier. On joue sur la tonalité, la musique des mots, mais cette fois, le côté ludique fait place à une gravité sans équivoque. L’effet dramatique est là, peut-être un peu surligné.

Projet de disque

Pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’assister à cette création-improvisation, l’équipe pourrait entrer en studio prochainement pour la mettre sur disque et peut-être offrir de nouvelles représentations. L’exercice en vaut la chandelle et la formule pourrait inspirer d’autres essais en ce sens. Les musiciens qui y ont participé font tous (ou presque) partie du Grand groupe régional d’improvisation libérée, il est fort probable que d’autres collaborations donnent naissance à plusieurs créations, du même genre ou non. La porte est ouverte, profitons-en.

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