
Plusieurs personnes confondent les termes « élève » et « étudiant ». Or, selon Le Petit Robert, un élève est une « personne qui reçoit l’enseignement donné dans un établissement d’enseignement » alors qu’un étudiant est une « personne qui fait des études supérieures ». Voilà une confusion sémantique répandue et, somme toute, anodine. Mais une nouvelle confusion a envahi nos écoles au cours des dernières décennies et celle-ci est loin d’être inoffensive.
Attention parents, vos enfants, et ce, dès l’âge de cinq ans, sont irrévocablement et officiellement des clients ! Du moins, selon le site officiel du ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport (MELS) et plusieurs pages Web de commissions scolaires québécoises. Pourtant, Le Petit Robert précise bien qu’un client est une « personne qui requiert des services moyennant rétribution – personne qui achète ».
Dans un court essai, Diane Boudreau, enseignante retraitée, déplore que « les élèves se métamorphosent en « clients » qu’il faut satisfaire à tout prix ». À cela, elle ajoute que « le MELS, les commissions scolaires et les directions d’école cèdent au chantage et à la menace de représailles judiciaires s’ils osent confronter les élèves récalcitrants et affronter les récriminations de ces parents trop fatigués ou trop peu courageux pour corriger les attitudes impertinentes, vulgaires ou blessantes de leurs enfants […] les enseignants sont muselés, à la merci des critiques des uns et des autres, sans réel pouvoir ni autorité1 ». Selon elle, il est désormais très risqué pour un enseignant de sanctionner ces enfants rois qui peuplent de plus en plus les salles de classe.
D’où vient cette approche clientéliste ?
Sans tout expliquer, Jean Bernatchez, politologue et professeur en sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski, expose ce qui pourrait bien être la cause d’une bonne partie de ce phénomène inquiétant. À l’origine des transformations de la gestion scolaire québécoise se trouve une nouvelle approche liée aux politiques publiques qui, depuis 1980, s’oriente vers ce que l’on appelle la nouvelle gestion publique (NGP). Celle-ci s’est implantée au Québec dans les années 1990, avec le récent passage de l’État providence à l’État facilitateur.
On reconnaît la NGP à deux principes décrits par Jean Bernatchez : les politiques sont formulées par les élus, puis mises en oeuvre par les fonctionnaires ; les méthodes de gestion, calquées sur celles du privé, permettent d’accorder une grande attention aux processus. L’objectif de la NGP est de « rendre performante l’administration publique ». Son credo : imputabilité, performance, résultats.
La NGP s’étend mondialement et transforme, dès 1980, le système universitaire québécois. Graduellement, et à leur corps défendant, les professeurs d’université voient les gouvernements successifs envahir leur chasse gardée : la recherche. Ainsi, c’est par la voie du financement, par l’octroi de subventions aux chercheurs, que les gouvernements orienteront de plus en plus la recherche et la mission des universités vers les besoins des entreprises. La recherche devient utile au développement économique et on s’intéresse à son potentiel de commercialisation. Le milieu des affaires s’en réjouit, les pressions qu’il exerce depuis 1958 portent enfin leurs fruits !
Quel lien avec les dérives de l’école québécoise ?
D’abord, dès 1997, quand Pauline Marois présente sa réforme de l’éducation, elle affirme que « cette réforme vise trois choses : succès, qualité et efficacité2 ». On n’est pas loin du credo de la NGP !
Jean Bernatchez explique aussi comment la NGP s’insère dans le réseau scolaire. Depuis 2002, la Loi sur l’instruction publique impose aux commissions scolaires l’adoption de plans stratégiques et aux écoles, l’adoption de plans de réussite et de projets éducatifs. En 2008, s’ajoute un « nouveau mode de gouvernance scolaire caractérisé par la gestion par résultats3 ». Mais qui dit plan, réussite et résultats dit reddition de comptes ! Du bas (écoles), les résultats doivent cheminer vers le haut (ministère) et ils doivent correspondre aux exigences de réussite venant d’en haut. Rien de nouveau là-dedans ? Justement, la nouveauté, c’est que ce mode de gestion implique un énorme travail de concertation entre le Ministère, les commissions scolaires, les établissements et les enseignants. À cela s’ajoutent les élèves et les parents qu’il faut, bonne gestion oblige, s’assurer de satisfaire !
C’est au coeur de ces lourdes contraintes que Jean Bernatchez puise sa lueur d’espoir. Selon lui, la complexité liée à la nouvelle gestion publique risque fort d’inciter les gouvernements à expérimenter de nouvelles façons de gérer le système scolaire, ce qui retardera peut-être ce moment où nos enfants prendront conscience de la force du client roi !
1. Diane Boudreau, Une éducation bien secondaire, Poètes de Brousse, 2013, 124 p.
2. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, www.mels.gouv.qc.ca.
3. Jean Bernatchez, « La gestion axée sur les résultats : mode passagère ou nouveau paradigme de gestion scolaire ? », Le monde de l’éducation, novembre 2012.