Je suis affligé d’une grande peine
Tirelou
– Félix Leclerc
Un ami jardinier m’a raconté la macabre découverte qu’il a faite l’automne dernier : ses choux chinois, impeccables à l’extérieur, avaient été complètement rongés de l’intérieur par une espèce de ver gris nouvellement apparue (la noctuelle d’hiver). Métaphore de l’air du temps ? J’ai l’impression que l’on ne cesse de découvrir de gros vers gras qui nous pourrissent insidieusement l’existence.
Démocratie et religion
Pour combler le vide laissé par la disparition de l’agence Droits et Démocratie, dont le plus grand péché était l’indépendance politique, Stephen Harper a créé le Bureau des libertés religieuses. L’intention serait louable si ce n’était de la personnalité de son directeur, Andrew Bennett. Ce chef religieux chrétien croit qu’il faut permettre au discours religieux de se déployer dans la sphère politique et brandit comme argument que les pires atrocités du XXe siècle auraient été causées par des forces politiques laïques. Ô mauvaise foi ! Comment peut-on oblitérer aussi facilement les guerres saintes, passées et présentes, et tous ces crimes commis au nom d’un dieu ?
Un tel bureau existe aux États-Unis, il a été créé grâce à l’influence des chrétiens évangélistes à Washington. Or, un véritable lobby des chrétiens évangélistes est maintenant installé à Ottawa, comme un reportage de l’émission Enquête l’a montré en 2011. Mêmes causes, mêmes effets ? Qui plus est, les députés conservateurs de la droite religieuse acceptent de moins en moins d’être réduits au silence.
Que dire du credo économique conservateur qui fait disparaître l’ACDI et le devoir critique des scientifiques.
Du côté de l’Église catholique romaine, trop riche pour être tout à fait propre, le ver est sûrement dans la pomme depuis la genèse : le nouveau pape aura beau laver des pieds à qui mieux mieux, tant qu’il n’admettra pas que l’Église a un sérieux problème avec l’existence de la moitié de l’humanité, la stérilité de l’arbre ne pourra que progresser.
Le Québec recule à hue et à dia
Le fédéral ne se gêne pas pour « varger » dans les consensus québécois (jeunes contrevenants, registre des armes à feu, assurance-emploi, formation de la main-d’oeuvre, abolition des crédits d’impôt pour les fonds de solidarité), pourtant l’appui à la souveraineté ne cesse de diminuer. Alors tous ces stratèges convaincus sous l’ère Chrétien qu’un gouvernement fédéral qui fait mal au Québec est bon pour la souveraineté peuvent aller se rhabiller. Le Bloc québécois a fondu comme neige à cause de l’inconsistance du projet souverainiste à Québec, et les conservateurs en font maintenant leurs choux gras. Le pays ne se fera pas simplement en disant non au Canada. Le non qui veut dire oui, le oui qui veut dire non, c’est fini. Et ça ne suffira pas d’être en joual vert !
À force de ménager la chèvre et le chou, le gouvernement du Parti québécois, risque fort de se retrouver Gros-Jean comme devant si, de guerre lasse, la population se laisse tenter par la potion du docteur Couillard. Avec la promesse de défendre la langue française et de signer la constitution canadienne, le bon docteur tentera d’envoyer ses adversaires dans les câbles et d’enterrer la souveraineté pour de bon.
Montréal « sale » et transversale
Comme il est loin le temps où « la fierté avait une ville ». Si la commission Charbonneau a du mal à tirer les vers du nez de la famille maffieuse, dont l’omerta ressemble à s’y méprendre à un texte d’Ionesco, ce qu’on apprend au sujet de nos firmes d’ingénieurs, de nos grands entrepreneurs et de la politique municipale dégage une odeur de bécosse qui dégueule. Impossible de trouver une seule firme au-dessus de tout soupçon pour réparer les nids-de-poule ou pour construire l’échangeur Turcot. Ils ont poussé le bouchon vraiment trop loin, il faut maintenant juguler l’hémorragie de fonds publics, à défaut de punir tous les coupables.
Pour se consoler
Il ne faut pas se surprendre de l’apathie souverainiste. Comment en effet avec le nez collé au présent pourrait-on croire en la force de nos moyens ? Pour le faire ce pays, nous avons besoin de joueurs de talent, capables de se tenir au-dessus de la mêlée. Et d’un projet de vivre ensemble, de vivre bien, à notre manière. Au moment d’écrire ces ligne, la Sainte-Flanelle est en tête de sa division, c’est bien la preuve qu’après avoir touché le fond, on peut toujours remonter, si on sait jouer en équipe.
À tout le moins, on tente de nettoyer les écuries d’Augias. Et l’herbe n’est guère plus verte ailleurs sur le globe. Lorsqu’on y pense, c’est joli Rimouski, même avec l’hiver qui n’en finit plus de finir. L’air est pur, le crabe délicieux. J’écoute en boucle le jazz mélancolique de Bill Evans murmurant qu’il faut croire au printemps et à la mémoire des fleurs. Le fleuve coule, et ce n’est jamais le même fleuve.
Tout ça ne nous empêchera pas
de planter des choux.
Tirelou…