
« Je dois créer ! » « J’ai quelque chose à dire, nous avons quelque chose à crier, nous avons le droit de nous exprimer ! » « L’art et la culture soutiennent la vitalité d’une communauté, ils doivent soutenir son développement ! » Le 12 mars dernier, Julie Boivin, directrice du CLAC, Anjuna Langevin et Thierry Leuzy, artistes multidisciplinaires, ont présenté leur démarche artistique dans une conférence-discussion intitulée « Échanges multidisciplinaires sur les arts, les cultures et le Bas-Saint-Laurent » tenue à l’UQAR.
Lors de cette activité, les trois conférenciers ont parlé des liens qu’ils font entre l’art, la culture et le territoire dans leurs différentes pratiques. Pour les trois, l’art est un moyen privilégié d’être, de comprendre et de se connaître soi-même tout comme les autres, ainsi que de prendre part à la vie en collectivité. Thierry « boit » les gens et l’environnement autour de lui lorsqu’il écrit dans un café, même s’il écrit pour lui-même dans une quête d’authenticité. Par contre, il ne parvient pas à écrire « en ville » ; c’est seulement depuis qu’il s’est « échoué » à Rimouski, entre le rythme du fleuve et des montagnes, que la création littéraire est devenue possible. Pour Anjuna, entrer en relation avec sa communauté et avec les gens qui la composent est une part essentielle de son processus artistique et de sa quête d’artiste. Cela la pousse à créer en performant sur le territoire et avec les gens qui s’y trouvent et à engager son art dans les causes sociales et politiques qui la touchent. Julie perçoit l’art et la culture comme des moyens d’expression qui dynamisent et émancipent l’esprit humain et les collectivités. L’art et la culture permettent, selon elle, à un peuple de sentir et d’exprimer ce qui se passe autour de lui et en son sein. Elle s’investit au CLAC, un organisme qui a le mandat de faire vivre la littérature, les arts et la culture dans la Mitis.
Malgré leurs différentes positions artistiques, le territoire ne semble ni neutre, ni invisible pour ces trois conférenciers qui viennent d’ailleurs et qui ont choisi de s’établir au Bas-Saint-Laurent. Leur pratique de l’art semble se faire au rythme des particularités de la région. Que ce soit en raison de ses silhouettes géographiques ou de ses caractéristiques démographiques (la nature, les ressources naturelles et les paysages ; les grands espaces et les petites populations), le territoire du Bas-Saint-Laurent semble attirer, inspirer et motiver la pratique artistique et les artistes d’ici.
Toutefois, la pratique de l’art et de la culture n’est pas chose facile. Selon les conférenciers, nous vivons dans une époque qui marginalise l’art et la culture en tant que secteur d’activités secondaires. En conséquence, les pratiques artistiques et culturelles sont souvent sous-financées ainsi que mal reconnues. « L’art serait perçu par l’ensemble de la société comme un loisir, un luxe ou un moyen de détente », dira Anjuna, alors que, pour ces artistes, l’art répond à quelque chose d’essentiel. Par ailleurs, c’est souvent par l’art et la culture qu’une société se distingue, puis évolue selon le chemin qu’elle choisit.
Les conférencières mentionnent aussi des difficultés propres à la pratique de l’art et de la culture en région. À ce sujet, Anjuna et Julie nomment, chacune leur tour, l’éloignement des centres culturels où se concentrent les artistes et les ressources dédiées à l’art. Elles nous expliquent qu’au Bas-Saint-Laurent, on trouve des quantités moins importantes de lieux, d’institutions et de bassins de population pouvant soutenir la pratique artistique et culturelle, « même si cela crée un contexte favorable dans lequel tout est à faire et tout peut être fait », ajoute Julie. Il devient ardu d’implanter des projets culturels durables et, par le fait même, de soutenir financièrement et adéquatement les acteurs qui y travaillent. Faute de moyens, de soutien et de réseaux artistiques denses, les artistes et les organismes s’essoufflent.
Comment faire valoir le caractère essentiel de la culture lorsqu’elle n’est pas reconnue comme une priorité par l’ensemble de la collectivité ? « Doit-on l’imposer », demande Julie, et ce, tout en sachant que l’art et la culture vise avant tout l’émancipation des esprits ? Que faire des questions économiques qui s’entrechoquent avec ce qui pousse à vouloir mettre en matière le beau, le laid, l’adversité et l’absurdité de la vie, comme le fait Thierry. « Peut-être est-ce parce que nous vivons dans un monde loin du rêve, de l’intuition, du sacré et des relations humaines », dira Anjuna.
Ces conférenciers rendent vivant le territoire par leurs pratiques artistiques. Ces artistes, aussi citoyens du Bas-Saint-Laurent, interprètent ce qu’ils vivent ici et maintenant. Ils construisent différentes images qui émanent de la région. Ces images semblent se nourrir, entre autres, des liens, des particularités, des gens et des collectivités du territoire. Elles offrent au reste de la population une interprétation personnelle de ce qu’on peut retrouver ici. Est-ce que les citoyens d’ici reconnaissent leur apport et se reconnaissent dans ces images ? Peut-être. Leur permettraient-elles aussi de tisser des liens nouveaux entre eux-mêmes, leurs concitoyens et d’autres images qui leur sont offertes par les artistes du Bas-Saint-Laurent ? Hors de tout doute, l’art, la culture et le Bas-Saint-Laurent forment un enjeu actuel qui mérite de susciter de nombreuses autres discussions.