mon chant s’appelle Tambour
je m’appelle Humain
– Joséphine Bacon
Avec un redoux pluvieux entre deux crêtes de froid, un Cyrano devenu Raspoutine, le mois de janvier nous aura promenés en montagne russe pendant que le mouvement Idle No More glissait sous les radars médiatiques. Il faut dire qu’au moment où j’écris, de grands événements s’apprêtent à envahir le paysage : Bonhomme devra composer avec le retour des duchesses version 2.0, Rio se trémoussera dans un interminable défilé où la peau se porte épilée et bien étalée, les Américains préparent leur Pepto-Bismol en vue de leur grand festival d’ailes de poulet annuel où le ballon ovale réussit à « scotcher » tellement de spectateurs à leur téléviseur que 30 secondes de pub valent des millions.
Lola, remets du Rimmel à tes cils…
Il faut dire aussi que le feuilleton Lola vs Éric fait plus glamour que la cause défendue par des femmes autochtones. Lola se rend jusqu’en Cour suprême dans le but de mettre la main sur la fortune de son ex, milliardaire : elle aimerait tellement se promener en hélicoptère. Mais ne serait-ce plutôt le nouveau conjoint millionnaire de la femme entretenue ?
Le plus curieux de cette histoire est d’apprendre que, selon certains avocats, la majorité des femmes en union libre pensent avoir les mêmes droits que si elles étaient mariées. Or, au Québec, 40 % des couples vivent en union libre ; j’ai du mal à croire que toutes ces femmes constituent une gang de « nounounes » mal informées. Je crois qu’elles savent parfaitement que la pension alimentaire est liée au régime matrimonial qui avait cours jusqu’en 1964 : le mari garantissait les aliments à son épouse et elle lui devait obéissance, car la femme mariée n’était pas reconnue comme une personne juridique autonome par le Code civil, c’est-à-dire qu’elle ne pouvait ni contracter un prêt, ni signer un bail, ni même autoriser une intervention chirurgicale pour ses enfants. Et la loi de l’Église rendait le devoir conjugal obligatoire.
Je crois plutôt que les femmes de nos jours ont encore trop souvent un revenu inférieur à celui de leur conjoint, ce qui ne leur permet pas de bien négocier l’organisation des finances du ménage (qui a l’argent décide) ; peut-être même que certaines endurent leur vie de couple parce qu’elles n’ont pas les moyens de vivre seules. Il n’est alors pas surprenant qu’elles s’en sortent moins bien lors d’une séparation.
Au pays du kâmasûtra
Deux sordides histoires de viol ont fait la manchette. On a dit que ces crimes allaient réveiller la conscience indienne. Permettez-moi d’en douter. Quand un homme politique déclare que jamais une femme « bien » n’avait été violée en Inde, qu’un gourou affirme que le viol aurait été évité si la jeune femme avait su prier et qu’une loi à Mumbai prévoit maintenant des amendes pour incitation à troubler l’ordre public à toute jeune femme circulant le soir, force est de constater que le problème est profond. Au pays du Kâmasûtra, seuls les dieux batifolent et se lutinent librement. Les femmes subissent encore les mariages arrangés par les familles et, pour la majorité, pauvreté rime trop souvent avec promiscuité, avec corps violentés. Peut-on qualifier de démocratie un pays où l’intégrité de la personne n’est garantie qu’à une infime majorité ?
Des femmes courage
Idle No More, ce mouvement issu de la base, a été mis en branle en Saskatchewan par quatre femmes, et ce n’est pas un hasard. Les femmes ont été plus souvent qu’à leur tour victimes des conditions de vie inacceptables réservées aux peuples autochtones. Et ce sont des femmes qui, il y a déjà plusieurs années, ont commencé, avec beaucoup de courage, à dénoncer la violence familiale et à proposer d’y voir un symptôme de l’aliénation collective tout en suggérant des rituels de guérison pour l’ensemble de la communauté.
Ce mouvement est tout à fait indépendant des positions plutôt attentistes des leaders officiels. Il faut dire que les chefs de bande sont des créatures politiques issues de cette fameuse Loi sur les Indiens, loi fédérale inique, qui considère les autochtones comme des pupilles de l’État. La question autochtone est une question complexe, mais il faut peut-être se rappeler qu’aux États-Unis, on appelle French and Indian Wars ces guerres pour le territoire en Amérique du Nord qui ont mené, en 1763, au traité de Paris, traité qui nous a contraints à une lutte politique pour la survivance d’un peuple parlant français. Vaincus, les peuples autochtones auront eu moins de chance et connu le pire : le déni de leur humanité.
Dans le tintamarre médiatique, leur voix a bien du mal à se rendre jusqu’à nous. Au Québec, des voix littéraires commencent néanmoins à nous parvenir, celles d’une Joséphine Bacon, d’une Naomi Fontaine, d’une Natasha Kanapé Fontaine, par exemple.
Alors, le 8 mars prochain, notre pensée solidaire devrait aller à ces femmes courage qui ont juste cause. Il faut les entendre lorsqu’elles disent :
e innuian kie eka nita
tshe nakatikuian
Jamais mes origines ne me quitteront
– Joséphine Bacon