Politique

Des travailleurs en colère

Par Hélène Béland le 2013/03
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Des travailleurs en colère

Par Hélène Béland le 2013/03

Malgré les mouvements de protestation et les manifestations un peu partout au Québec, que ce soit à Mont-Joli, à Forestville, à Sainte-Anne-des-Monts ou ailleurs, le gouvernement Harper fait la sourde oreille et n’entend pas modifier quoi que ce soit aux nouvelles règles qui définissent le régime d’assurance-emploi depuis janvier 2013. Pourquoi ce mouvement de révolte populaire ? Pourquoi et pour qui cette réforme a-t-elle lieu ?

Selon le gouvernement fédéral, les modifications au régime ne constituent pas vraiment une réforme, mais plutôt une « clarification » des règles qui vise à aider les gens à trouver un emploi. Selon lui, il n’y a pas de centres de services qui ferment, on « modernise » ou « consolide » les activités. Selon lui, on ne veut pas forcer les chômeurs à déménager, on veut seulement « jumeler des Canadiens aux emplois disponibles »… Comme le disait le maire de Mont-Joli, Jean Bélanger : « Pendant que certaines régions progressent avec la bénédiction d’Ottawa, nous sommes encore contraints à lutter pour préserver nos acquis ». Selon Guy Caron, député néo-démocrate de Rimouski-Neigette-Témiscouata-Les Basques, « la réforme a été faite pour répondre à un problème de pénurie d’emplois, surtout en Alberta. Ces solutions sont inadaptées à la réalité de l’Est du Québec et des provinces maritimes ».

Qu’est-ce qui soulève tant de mécontentement ?

Les nouvelles mesures imposées par le gouvernement Harper sont en train de modifier en profondeur le monde du travail au Canada, mais plus particulièrement dans l’est du pays, où près de 70 % des chômeurs saisonniers proviennent du Québec (39,5 %) et des Maritimes (27,6 %). Ces chômeurs sont contraints à des emplois saisonniers à cause de la nature temporaire des contrats qui les lient à leur entreprise et non par choix ou par mauvaise volonté. Des réalités régionales et sectorielles sont propres à certaines régions ressources et relèvent du caractère saisonnier des emplois. Et avec la réforme de l’assurance-emploi, ce sont ces travailleurs des régions qui doivent encore payer, comme si le fait de ne pas travailler à l’année n’était pas en soit un coût.

Selon les nouvelles règles, les travailleurs saisonniers dits « prestataires fréquents » (ayant touché au moins 60 semaines de prestations au cours des cinq dernières années) sont les plus touchés par cette réforme. Ils doivent accepter, dès leur licenciement, tout nouvel emploi dit « similaire » correspondant à 80 % de leur salaire horaire précédent. Après six semaines de prestations, ils devront accepter tout travail pour lequel ils sont qualifiés, à une distance d’une heure de leur domicile et à 70 % de la rémunération précédente.

Le député fédéral Jean-François Fortin lors d'une manifestation.

Des élus de la région, comme le député bloquiste Jean-François Fortin, ont joint le mouvement. (Photo : Louis-Philippe Cusson)

Dans une région comme la nôtre, où l’économie de certaines communautés repose sur la forêt, le tourisme, l’agriculture et les pêches, il y a un danger évident que plusieurs travailleurs quittent la région ou encore se tournent vers l’aide de dernier recours, ce qui risque de créer pour les entreprises encore plus de problèmes de recrutement et de rétention de la main-d’œuvre. Selon certains observateurs, cette réforme constitue une attaque directe à l’occupation du territoire.

Concrètement, seul le tiers des travailleurs qui vivent des mises à pied saisonnières et récurrentes a systématiquement recours à l’assurance-emploi année après année. Ces travailleurs se heurtent à divers obstacles et sont incapables de trouver un emploi sûr et à l’année. Ils sont souvent plus âgés, peu instruits et vivent dans des régions où les occasions d’emploi sont limitées. Que penser des pressions à la baisse que ces dispositions exerceront sur les salaires et sur les conditions de travail ? L’ampleur réelle de ces répercussions est difficile à prédire, mais est néanmoins préoccupante.

Les nouvelles mesures sont contre-productives, car en plus de subir une baisse de revenu, les nouveaux employés ne pourront plus mettre à profit leur savoir-faire et leur intérêt pour un domaine d’emploi ciblé. Pourtant, il semble évident qu’un réemploi rapide n’est pas garant d’un emploi durable et de qualité. Bien au contraire, il est souvent accompagné d’une période de stress intense, d’un emploi de piètre qualité, de pertes d’emplois répétitives, d’un sentiment d’échec, de retrait prématuré du marché du travail et, malheureusement pour certains, de dépression majeure.

Tout compte fait, le monde du travail est en train de changer de façon draconienne, en particulier pour plusieurs travailleurs pour qui le rythme des saisons prendra bientôt une nouvelle forme. Ces transformations ne sont pas mineures, loin de là. Il appartient à chacun de nous de réagir si nous ne sommes pas d’accord. La survie de nos emplois et de nos régions en dépend.

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