Actualité

On ferme ? Non !

Par Pierre Landry le 2013/01
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On ferme ? Non !

Par Pierre Landry le 2013/01

On ferme une école parce qu’il n’y a plus assez d’élèves qui la fréquentent. On ferme un garage ou une épicerie parce qu’on ne compte plus assez de monde pour les faire vivre. On ferme un bureau de poste parce que sur les 15 habitants qui restent, il y en a 14 dont la plus grosse activité consiste à voir la vie s’esquiver en douce partout autour de leur personne. On ferme une caisse populaire pour « optimiser l’offre de service régionale et rationaliser les opérations dans le contexte d’une concurrence accrue sur les marchés internationaux et d’une dévaluation du cours des métaux lourds ». On ferme une église parce que la Fabrique n’a plus rien à fabriquer et que les fidèles le sont de moins en moins. On ferme un tronçon de chemin de fer parce que, de toutes façons, aux heures et à la fréquence où le train passe… (le train, ce n’est plus fait pour le monde, c’est fait pour la marchandise, dans cet univers marchand où on ferme les yeux sur ces réalités). On ferme les bureaux des fonctionnaires et les agences gouvernementales parce que c’est bien plus facile de ne pas répondre au monde, enfermé dans une cage à poules anonyme située dans un grand centre ou dans un pays émergent, qu’à partir de là où les gens auraient vraiment besoin qu’on s’occupe d’eux. On ferme des services de proximité pour l’aide à la navigation et les appels de détresse parce qu’anyway on est en train de vider l’estuaire de ses derniers poissons puis tant pis pour les rares imbéciles qui osent encore s’aventurer sur le fleuve. On ferme une scierie parce que la demande s’est effondrée mais aussi parce qu’il faut aller chercher des arbres de plus en plus maigrichons de plus en plus loin, et que ce sera tellement plus facile de rentabiliser les opérations une fois qu’on aura coupé les salaires et les prestations de retraite de moitié. On ferme des médias communautaires parce que, qui a besoin de ces « moumouneries-là » à l’heure d’Occupation double et de Tout le monde en parle ? On ferme des grands pans de Parcs Canada et on met à la porte, sans préavis, une quarantaine de travailleurs et d’experts hautement spécialisés. Des archéologues, des historiens, des conservateurs et des restaurateurs chevronnés dont on n’a plus besoin parce que les artefacts qui proviennent du parc Forillon ou des fouilles effectuées sous la terrasse Dufferin sont déjà dans des boîtes et prêts à partir pour Gatineau où il sera tellement plus facile de leur faire franchir la frontière, si jamais…

On ferme, on ferme, on ferme. Mais dans une ville et au cœur d’une région qui se sont construites sur le savoir, au beau mitan d’une ruche où l’on se consacre à documenter et à analyser la genèse de ce qui s’avérera la plus grave crise écologique à laquelle l’humanité n’aura jamais été confrontée ; à l’heure où les marsouins viennent crever sur nos plages, exhibant leurs pauvres ventres blancs comme autant de signaux d’alarme et d’impuissance ; à une période où les milieux marins s’asphyxient et deviennent de plus en plus acides, où les glaciers fondent à la vitesse grand V, où le volume des océans augmente constamment, où les glaces ont disparu des berges et ne nous protègent plus de la violence de tempêtes qui s’avèrent de plus en plus dévastatrices ; au moment où on a plus que jamais besoin de comprendre ce qui se passe, où on devrait augmenter le nombre de chercheurs pour qu’ils puissent nous éclairer afin que nous soyons en mesure de faire face à l’imminence des crises qui nous guettent ; à l’instant où on devrait investir massivement dans les laboratoires, multiplier les microscopes, les sondes, les prélèvements, les analyses de tissus, de sédiments, de micro-organismes ; à l’heure où il devient impérieux d’approfondir nos connaissances et où on a plus que jamais besoin de l’arsenal complet des outils du savoir ; à la minute où on s’apprête à fermer pour la déménager à Dartmouth en Nouvelle-Écosse la seule bibliothèque francophone spécialisée en sciences de la mer au Canada, J’ACCUSE le gouvernement Harper de faire preuve d’un obscurantisme criminel et d’ignorer consciemment les menaces qui planent sur nous pour des raisons purement idéologiques et au seul profit de l’industrie pétrolière ; J’ACCUSE le gouvernement Harper de se livrer en ce moment même à un ethnocide culturel planifié dirigé contre le Québec en le détroussant de sa mémoire, de ses artefacts et en limogeant de façon cavalière les artisans qui en étaient les gardiens ; J’ACCUSE le gouvernement Harper de chercher à détruire le patrimoine scientifique de Rimouski et de sa région pour saper à même nos forces vives, et NON, je ne fermerai pas ma gueule et je souhaite du fond du cœur qu’il reste assez d’indignation à mes compatriotes et à mes concitoyens pour qu’ils s’opposent avec toute l’énergie dont ils sont capables à cette entreprise mortifère de destruction massive et ciblée.

Ne laissons pas un seul livre quitter notre région ! Occupons la bibliothèque de l’Institut Maurice-Lamontagne de Mont-Joli !

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