ÉchoFête : un dixième anniversaire sous le signe du printemps québécois
Un atelier et un invité vedette qui soulèvent les passions. Une édition d’Échofête soudainement mise en péril par ses bailleurs de fonds en raison de sa prétendue trop forte politisation. Une crise qui éclate opposant les organisateurs du festival engagé, appuyés par Victor-Lévy Beaulieu, et le maire de Trois-Pistoles, Jean-Pierre Rioux. Escalade : les organisateurs annulent la séance sur la désobéissance civile, mais insistent pour accueillir Gabriel Nadeau-Dubois. Résultat : polarisation des camps et déplacement des sites du festival installés sur les terres municipales vers des terrains privés, principalement celui du Caveau-Théâtre appartenant à VLB, qui a ensuite payé le prix de sa solidarité.
En somme, un festival brusquement mis sur la sellette et qui braque les projecteurs sur les enjeux de liberté d’expression, de gestion « responsable » des fonds publics et de partisanerie.
Le 9 août dernier, Gabriel Nadeau-Dubois quittait ses fonctions de porte-parole de la CLASSE. Quelques jours plus tôt, Le Mouton NOIR l’a rencontré à l’Échofête de Trois-Pistoles.
Selon le maire Jean-Pierre Rioux, vous êtes le porte-étendard de la désobéissance civile québécoise. Comment réagissez-vous à ses propos et à la crise qui a secoué Trois-Pistoles et dont vous avez été, malgré vous, l’un des principaux acteurs?
Gabriel Nadeau-Dubois – Je vais commencer par rectifier les faits : je suis porte-parole de la CLASSE. La CLASSE a mis de l’avant la désobéissance civile dans le cadre du mouvement étudiant, surtout dans le contexte de la loi 78. La désobéissance civile, ce n’est pas de désobéir à toutes les lois, n’importe quand, n’importe comment, pour n’importe quelles raisons. La désobéissance civile, c’est lorsqu’à certains moments, des lois injustes très graves sont votées. Dans ces conjonctures précises, on considère qu’il est légitime de désobéir. Et on a été appuyés par des centaines de milliers de Québécois.
En ce qui concerne la polémique à Trois-Pistoles, c’est assez simple de l’expliquer. Il y a actuellement un conflit au Québec entre le mouvement étudiant et le Parti libéral du Québec. Monsieur Rioux a choisi son camp, c’est un militant du PLQ. En ce sens, ce n’est pas étonnant qu’il s’oppose à ce que le mouvement étudiant ait une tribune dans sa ville. Ça s’arrête là, le reste, c’est de l’enrobage.
Le maire Jean-Pierre Rioux justifie sa position en disant qu’il a reçu des plaintes de citoyens qui n’étaient pas d’accord avec le fait que leurs taxes financent des activités encourageant la désobéissance civile. Cette réaction des citoyens de Trois-Pistoles vous étonne-t-elle?
G. N.-D. – Ça ne m’étonne pas qu’il y ait eu des réactions à ma venue. Si l’Échofête avait annulé ma présence à cause de ça, il y aurait probablement eu autant de commentaires dénonçant cette forme de censure politique. Cela dit, à partir du moment où un conflit est aussi polarisé, le rôle du maire est de ne pas prendre position. Or, empêcher ma venue, ce n’est pas de la neutralité. C’est prendre position en ma défaveur.
Plusieurs observateurs politiques ont observé un écart important entre la mobilisation dans les métropoles et celle en régions. Comment expliquer cette différence territoriale dans l’appui au mouvement étudiant?
G. N.-D. – On ne peut pas cacher qu’il y a une différence de mobilisation entre la ville et les régions. Le gros de l’ébullition et des perturbations a eu lieu à Montréal, mais il y a quand même eu des niveaux de mobilisation impressionnants dans la région de Sherbrooke, en Outaouais, à Rimouski, dans la région de Québec. Depuis le début de la tournée régionale, on le remarque, même dans les régions où il n’y a pas eu de grève étudiante, les gens ont senti ce qui se passait. Il n’y a pas un coin du Québec qui a été à l’abri. Ça a certainement été inégal, il y a des dynamiques régionales partout. Mais partout, on en a parlé et partout, un débat s’est créé.
Le manifeste que vous avez rédigé est le principal outil que vous cherchez à promouvoir. Vous y parlez avec un « nous » très inclusif, allant jusqu’à affirmer que vous êtes une génération, que vous êtes le peuple.
G. N.-D. – Le manifeste, sur certains points, a été très mal compris. Quand on parle au « nous », on parle des gens qui se sont mobilisés. Et lorsqu’on dit « nous sommes le peuple », nous ne disons pas « nous sommes tout le peuple », mais bien que nous faisons partie du peuple. Il y a toute une partie du discours gouvernemental qui s’est basée sur une fausse dichotomie entre les étudiants et les contribuables. Dans le manifeste, on rejette ça. Les étudiants sont aussi des citoyens et des citoyennes, des travailleurs et des travailleuses, des contribuables. Dans nos rangs, toute la population est représentée. Quand on dit « nous sommes le peuple », on veut dire que nous sommes aussi le peuple. On le constate d’ailleurs dans notre tournée de mobilisation, les gens sont là, ils sont de tous les âges, ils sont de tous les horizons et de tous les statuts sociaux.
Le manifeste que vous présentez est l’ébauche d’un projet de société. Vous y discutez les thèmes chers du mouvement étudiant : justice sociale, démocratie directe, féminisme, environnement. Un enjeu fondamental reste cependant sous le tapis, la souveraineté du Québec. Pourquoi adoptez-vous une telle réserve?
G. N.-D. – Le mouvement étudiant, historiquement, ne s’est pas positionné sur la souveraineté du Québec. Au sein du mouvement, il y a des associations d’étudiants et d’étudiantes anglophones et la souveraineté est un facteur de division. En continuité avec cette tradition-là, on a décidé de ne pas prendre position. On n’est pas souverainistes, on n’est pas fédéralistes non plus.
On a en effet parlé d’indépendance ce printemps à travers le mouvement. Il y a beaucoup de gens qui ont vu dans notre résistance à la hausse des frais de scolarité un refus d’aligner le modèle d’éducation québécois sur le modèle canadien-anglais. Mais nous, comme organisation, on a décidé de ne pas en parler. Si les étudiants et les étudiantes se mettent à en parler dans leurs assemblées, c’est sûr qu’on en tiendra compte.
Par ailleurs, il faut rappeler que ce manifeste-là ne prétend pas être un projet de société complet. C’est une ébauche qui contient des propositions et des réflexions que nous avons lancées. Il y a plusieurs enjeux qui n’ont pas été abordés dans le manifeste, soit par omission volontaire ou simplement parce qu’on ne peut pas parler de tout. Les questions sur l’énergie ou le rôle des régions sont du nombre.
J’aimerais vous entendre davantage sur l’un de ces thèmes : la démocratie directe. Dans votre manifeste, vous opposez la démocratie directe à la démocratie représentative. Rejetez-vous en bloc toute idée de représentation?
G. N.-D. – Avant d’avoir une critique des institutions politiques actuelles, on a surtout un attachement à notre mode de fonctionnement : la démocratie directe. On pense que la démocratie, ce n’est pas seulement voter tous les quatre ans. Ça devrait être pas mal plus que ça. Il faut développer des démocraties directes dans nos milieux de travail, sur nos campus, dans nos quartiers. Ce qui est important, c’est de développer des formes de démocratie parallèles qui viennent enrichir notre vie démocratique actuelle. Cela dit, on critique aussi les institutions politiques actuelles, qu’on estime instrumentalisées. Quand on parle de corruption, c’est surtout à ça qu’on fait référence, à des institutions qui devraient servir le bien commun, mais qui sont détournées pour servir des fins particulières. C’est ce qu’on voit avec le Plan Nord, les gaz de schiste et les autres décisions gouvernementales qui sont prises en fonction d’une minorité, non pas pour la majorité des gens qui ne profitent pas de ces décisions.
Et puis, ce sont deux choses qui peuvent se faire en même temps : critiquer le hold-up de nos institutions par le pouvoir des affaires tout en travaillant à développer des formes de démocratie plus locales, plus directes. On le voit dans toutes les initiatives d’assemblées populaires qui poussent un peu partout au Québec ces temps-ci.