Ce texte complète une série d’articles sur la maltraitance des aînés publiés dans Le Mouton NOIR de mai-juin 2012 et s’inscrit dans le cadre de la Journée internationale des personnes âgées, qui aura lieu le 1er octobre prochain. Le cadre institutionnel est-il bien adapté à la perte d’autonomie graduelle chez les personnes aînées ? Les proches aidants reçoivent-ils l’aide dont ils ont véritablement besoin ?
Conscience active
Nous ne pouvons parler de comportement envers les personnes âgées sans mentionner une approche de bienveillance. Or, les humeurs en dents de scie, les difficultés répétitives du quotidien affaiblissent notre capacité de bienveillance. C’est un défi humain récurrent, dont l’accomplissement n’est jamais assuré. Le sentiment de ne pas être « à la hauteur » est fréquent. De la bienveillance à la bientraitance, il y a le pas d’une conscience active, qui devrait être la norme en ce qui concerne les actions envers les aînés vulnérables. Personne n’est contre la vertu, certes. Mais dans la pratique quotidienne, qui peut humainement affirmer une constance dans ce domaine ? Si la question se pose, c’est qu’il y a plus ou moins « maltraitance » identifiée : qu’elle soit institutionnelle ou faite par un proche excédé. Une réglementation invalidante, une situation qui se dégrade, un sentiment d’impuissance, une fatigue extrême et un geste violent deviennent des réflexes, des réponses malheureuses à une situation hors contrôle.
Il faut préciser que la bientraitance est une démarche quotidienne faite en réponse à des droits et à des choix : ceux que l’aidé exprime. En ce sens, « la bientraitance est d’abord capacité d’adaptation à l’autre1 ». Et qui dit « adaptation » exprime un effort constant d’être « disponible », d’avoir l’« énergie » nécessaire afin d’offrir l’aide « inconditionnelle » qu’exige la situation, qu’elle soit acceptée ou non.
Penser « la zone des premiers gestes »
Nous retenons de la bienveillance que la bientraitance procède d’une intention positive. À cela s’ajoute l’héritage de la bienfaisance : la nécessité d’agir pour parvenir à un juste équilibre entre toutes les contraintes auxquelles sont soumises les actions en faveur de la personne aidée. Il n’est pas facile d’effectuer des gestes de première nécessité pour une personne en perte d’autonomie tout en étant conscient du résultat : comment se sent la personne à qui nous donnons des soins d’hygiène ? Il faut alors une approche de bienveillance pour rendre l’activité acceptable, surtout si c’est la première fois. En ce sens, la formation professionnelle devrait tenir compte de plusieurs facteurs, dont la pudeur, la gêne et la peur, qui sont des sentiments dont il faut prendre conscience et qu’il faut évaluer durant l’activité de soin.
Il ne faut pas oublier les proches aidants qui s’avancent souvent sur un terrain plus ou moins bien éclairé. Le proche aidant ne sait pas encore que son aide vient d’entrer dans la catégorie des soins essentiels et de longue durée. Tout au plus, il a offert son aide à une personne en perte d’autonomie par affection et par compassion. La bienveillance colore ses gestes, son approche. Son but est, au jour le jour, de soulager et d’accompagner. Il n’a souvent ni formation, ni soutien, ni répit. Parfois, il n’en peut plus ; son état de santé se dégrade. Les crédits d’impôt, les aides à domicile ou les interventions du CLSC ne suffisent pas, les coûts s’accumulent et la lourdeur des cas augmente. C’est de ce temps entre perte d’autonomie graduelle et dépendance que nous devons nous occuper, une zone encore mal cartographiée, une « zone de premiers gestes » et d’apprentissage de la maladie.
Pour une approche globale de la bientraitance
La démarche de bientraitance est une dynamique qui interpelle autant les professionnels, les usagers que les proches aidants. Elle doit s’inspirer d’une collaboration continue afin de trouver la meilleure réponse possible aux besoins de l’aîné vulnérable en perte d’autonomie. En lien avec la recherche de soins possibles, elle doit tenir compte des paramètres propres à chaque personne : son identité, ses besoins, son expérience personnelle, ses relations avec ses proches, ses habitudes de vie, etc. Nous voyons ici la tâche que peut représenter cette approche globale de la bientraitance. Une tâche qui, la plupart du temps, est réduite aux soins essentiels sous une réglementation fonctionnelle. Le personnel de nos institutions est débordé et on se dit que le proche aidant pourra suppléer à certaines carences, mais pas toujours dans le meilleur contexte.
Les professionnels des soins de santé sont confrontés quotidiennement à des cas désespérés, à des situations explosives et de panique, à des intervenants débordés qui se passent les dossiers parce que le roulement du personnel oblige à la redondance des lectures. Les soins de santé sont tributaires de méthodes, de procédures et de protocoles pour permettre aux institutions de fonctionner dans un cadre administratif efficace. L’économie et l’efficacité priment alors que l’être humain vulnérable demande une écoute active, fidèle aux grands principes de bienveillance et de bientraitance. Est-ce encore possible dans notre société ?
Comment concilier les moyens mis en place par les institutions gouvernementales et la démarche humaniste d’une bientraitance institutionnelle et proche aidante ? La réponse se trouve dans l’information, la formation continue, le soutien et le répit aux proches aidants ainsi qu’aux préposés en assistance à domicile. Il faut augmenter les budgets aux organismes de services d’aide à domicile, aux services de soutien et d’accompagnement ; il faut augmenter les salaires des préposés en assistance à domicile pour attirer les jeunes professionnels ; il faut construire des passerelles de collaboration administrative entre Emploi-Québec et les commissions scolaires pour encourager les stages en milieu de travail et compléter des formations essentielles dans le domaine des soins de santé. C’est ainsi que nous pourrons répondre aux demandes d’aide (en croissance) afin de soutenir les proches aidants engagés auprès des aînés en perte d’autonomie. Nous identifions ici une « zone de premiers gestes » qui définit le moment où l’aide aux proches aidants doit commencer, car ce sont eux qui sont sur les lignes de front, là où ça fait mal, là où l’indignation fait son nid.
L’auteur est coordonnateur du Carrefour d’information pour aînés situé au Centre communautaire pour aînés Relais Santé, à Matane.
1. Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, La bientraitance : définition et repères pour la mise en œuvre, ANESM, 2008.