J’écris ces lignes le mercredi 5 septembre en fin de journée, moins de 24 heures après le dévoilement des résultats des élections, moins de 24 heures après qu’un désaxé ait assassiné un homme et qu’il en ait blessé un autre, dans une tentative présumée de s’en prendre à Pauline Marois, à peine élue première ministre du Québec. Normalement lorsqu’on rédige un texte si peu de temps après un événement, on dit qu’on écrit à chaud. Aujourd’hui, je dirais plutôt que j’écris à froid.
Pour plusieurs d’entre nous, le printemps érable a constitué un moment fort de la vie démocratique au Québec, un soulèvement à la fois ludique et signifiant, une fête bruyante et colorée où s’est invitée tout un pan de la jeunesse québécoise qui se dévoilait à nous pour notre plus grand bonheur. Certes, il y a eu des débordements, de la casse, des gestes répréhensibles, mais la plupart des observateurs refusaient de souscrire à la vision véhiculée par exemple par un Jean Charest qui ne parlait que de violence et d’intimidation. Notre jeunesse manifestait contre un abus qui la concerne au premier plan, une augmentation démesurée des frais de scolarité, mais les ondes créées par cette pierre lancée au milieu de la mare scolaire se sont rapidement propagées dans toutes les directions, élargissant le débat à presque toutes les sphères de l’activité humaine. Économie néolibérale, environnement, gouvernance et corruption, inégalités sociales, mainmise de 1 % de la population sur 99 % de la richesse : toutes les causes se sont amalgamées en un immense ras-le-bol auquel semblait souscrire une part de plus en plus large de la société civile. Pris entre l’étau de ce mouvement d’une ampleur sans précédent et la date connue de la reprise des travaux de la Commission Charbonneau, l’ex-premier ministre du Québec a déclenché des élections, en plein été, en lançant un appel quasi désespéré à la « majorité silencieuse ». La rue et les étudiants se sont tus, parce que c’était l’été, justement, mais aussi en un geste stratégique, pour ne pas donner davantage de munitions à Machiavel.
Les grands ténors se sont alors mis à japper, François Legault et Jean Charest en tête, et en place et lieu des cris d’espoir et des élans de solidarité qui avaient résonné du mois de février au mois de juillet, ce sont les vieux spectres qu’on s’est mis à agiter de nouveau. Nous, les plus vieux, nous connaissons bien cet arsenal morbide dont on brandit les armes à chaque fois que le vrai statu quo est menacé : instabilité économique, référendum, fuite des capitaux, toutes les plaies d’Égypte assemblées en un seul faisceau. Et pendant plus d’un mois, nous n’avons plus entendu parler ni d’environnement, ni de culture, ni même d’éducation! On n’a parlé que de la santé, cette grande malade qui bouffe la plus large part du budget de nos gouvernements, et d’un ménage à l’emporte-pièce qui heureusement n’aura pas lieu. Pour le moment, du moins.
Plus près de chez nous, à Trois-Pistoles, l’Échofête subissait les foudres du pouvoir, le Caveau-Théâtre déclarait faillite et après que VLB eut donné son appui à la CAQ, nous apprenions que l’éditeur n’était plus en mesure de payer de droits à ses auteurs.
Mardi soir, le 4 septembre. Nous étions quelques amis assemblés avant le dévoilement des résultats des élections. Fébriles, nous nous étions encore fait prendre au jeu des sondages et aux spéculations d’un too close to call qui nous avait pourtant prévenus que l’irrationnel peut souvent faire basculer les tendances. Au fur et à mesure que le nom des élus était dévoilé et à la vue des chiffres qui semblaient s’éloigner de plus en plus de nos expectatives, nous nous calions dans nos fauteuils, ne sachant plus s’il fallait faire sauter le bouchon de la bouteille de champagne ou tirer la plug du téléviseur (mais ne sommes-nous pas déjà assez minoritaires dans cette Amérique anglophone?).
Au moment où nous étions tout de même un petit peu heureux en apercevant une Pauline Marois presque triomphante commencer son discours, nous avons vu deux mastodontes l’empoigner et la mener vers l’arrière-scène. Puis ces images de cette espèce d’hurluberlu, le fusil d’assaut sur la pelouse, les flammes qui léchaient les murs du Métropolis, les invectives racistes de ce désaxé qui parlait du « réveil » des anglos. Les férus d’histoire se sont rappelés l’incendie du Parlement, en 1849, qui se trouvait à Montréal à l’époque et auquel des émeutiers anglophones avaient mis le feu parce qu’on avait décidé de dédommager les habitants victimes des séquelles du soulèvement des Patriotes et de la répression qui s’ensuivit.
Jean Charest vient d’annoncer qu’il démissionne. À mon corps défendant, je ne parviens à ressentir aucune joie. Il s’esquive pour les hautes sphères et le luisant d’une job en or qui est à venir, nous laissant en héritage les pots cassés et les dommages collatéraux de neuf ans d’abus de pouvoir et de tromperie.