À une époque pas si lointaine, le territoire actuel de Rimouski comptait plusieurs quais recevant des marchandises. Les camions ont aujourd’hui pris la place des goélettes, ce qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes : les transports comptent pour le tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES) ; les camions endommagent la chaussée plus vite que les budgets publics ne peuvent en financer la réparation ; nos habitations sont construites directement à proximité du réseau routier, qui offre certes mobilité et liberté, mais porte aussi atteinte à la qualité de nos milieux de vie.
Un navire canadien typique transporte l’équivalent de 870 camions. Ajoutons qu’un bateau émet environ trois fois moins de CO2 qu’un camion lourd par tonne-kilomètre transportée. Une idée s’impose : pourquoi ne pas utiliser davantage le fleuve pour transporter des marchandises ? La solution séduit notamment certaines municipalités plus éloignées de l’Est du Québec, qui voient dans la proximité du Saint-Laurent une possibilité pour leurs entreprises de s’insérer dans les flux commerciaux à moindre coût.
Dans notre économie actuelle, le transport maritime est cependant pris dans une problématique de coûts qui le désavantage par rapport au transport routier. Le bateau se prête bien au « lourd et pas cher » : plus les volumes transportés sont importants, plus le coût unitaire est réduit. C’est pourquoi l’essentiel du transport intracanadien sur le Saint-Laurent est du transport en vrac (produits miniers et pétroliers, céréales). C’est aussi pourquoi le camion, qui peut aller partout, possède un avantage comparatif net lorsque les marchandises sont éparpillées sur le territoire, quitte à les faire converger vers la métropole avant de les charger sur un navire qui repassera devant nos côtes pour franchir l’Atlantique. Par ailleurs, pour livrer de porte-à-porte, le navire doit, dans bien des cas, recourir aux camions. Ces transferts d’un mode de transport à l’autre sont coûteux, demandent du temps et augmentent les risques de pépins dans la chaîne logistique. Enfin, les services liés au transport maritime (bouées, dragage, brise-glace, gestion et entretien des ports régionaux) entrent dans les charges supportées par les armateurs, ce qui n’est pas le cas dans le camionnage.
Pour dépasser un tant soit peu ce problème de coût, différentes avenues ont d’ores et déjà été empruntées, tant au niveau fédéral que provincial. Par exemple, le ministère des Transports du Québec a expérimenté ces dernières années des programmes d’aide à l’évitement d’émissions de GES et à « l’intégration modale », c’est-à-dire favorisant l’articulation et les transferts entre transport routier et transport maritime. Ces subventions permettent d’accorder une certaine valeur aux coûts sociaux et environnementaux des transports. Elles permettent aussi de combler une partie des retards en investissement dans les infrastructures portuaires régionales.
Un des projets soutenus dans le cadre de ces programmes a permis de réduire de près de 15 000 le nombre annuel de camions passant sur la route 138, et de quelque 14 000 tonnes le volume de GES émis chaque année au Québec. Il s’agit de l’acheminement des lingots d’aluminium depuis Sept-Îles vers les Grands Lacs. Le contexte était favorable, avec un seul expéditeur (donc moins d’efforts de coordination), des volumes significatifs (donc de faibles coûts unitaires) et surtout, des points de chargement et déchargement uniques situés à proximité immédiate d’un quai (simplicité de la chaîne logistique).
En tenant compte des contraintes propres au transport maritime, et avec une volonté politique sans doute plus soutenue, il est possible de porter des projets qui participeraient au développement de l’Est du Québec, tout en limitant les impacts environnementaux liés aux déplacements des marchandises. Il faut pour cela considérer le transit existant : contrairement à ce qu’on pourrait croire, il se fait encore du transport maritime sur le Saint-Laurent. Avec quelque 127 millions de tonnes manutentionnées l’an dernier, l’activité dans les ports québécois a dépassé son niveau d’avant la crise mondiale de 2008-2009. À Rimouski même, plus de 300 000 tonnes ont été manutentionnées en 2011, principalement des produits pétroliers raffinés à Lévis et du sel de déglaçage.
Il faut ensuite cibler des créneaux naturellement avantageux pour le maritime, c’est-à-dire n’entraînant pas de coûts excessifs en termes de transport et de manutention. Des candidats intéressants à considérer dans l’Est du Québec ? Les pièces d’éoliennes, la tourbe extraite sur la Côte-Nord et transformée dans le Bas-Saint-Laurent, les modules métalliques de grande envergure, l’éventuelle production d’alumine à partir de l’argile gaspésienne. Il est surtout important de maintenir, sinon d’augmenter les infrastructures régionales nécessaires à ce transit, tout en les reliant de manière plus efficace aux réseaux terrestres existants (routier et ferroviaire), et ce, afin de donner la chance aux territoires plus éloignés de la côte de développer des liens avec la route fluviale.