Passer du temps en famille, souper au restaurant, faire la fête avec des amis, rencontrer de nouvelles personnes, trouver l’amour de sa vie, dormir… à l’intérieur de quelques mètres carrés et à 100 milles à l’heure. C’est un peu ça voyager en train. Oubliez les classiques « pas assez vite », « trop cher », « toujours en retard » et autres. Des défauts qui n’en sont pas pour qui a appris à bien l’utiliser. Arrêtons de rêver à l’étendue du réseau, à la fréquence de départs et à la vitesse des trains européens dans lesquels – paroles d’employés de la S.N.C.F. – on rêve du confort, de l’ambiance chaleureuse et du service attentionné des trains… canadiens.
Un train, c’est beaucoup plus qu’un autobus sur rail. Pour le voyageur novice, ce sont d’abord des fauteuils spacieux aux allures de chaise longue, un étonnant dôme panoramique, une salle à manger avec une vraie cuisine et de vrais cuisiniers, un fourgon à bagages dans lequel on semble tout pouvoir transporter, du canot au « voyageur à quatre pattes ». Ce sont bien sûr ces sons typiques et ce doux roulis auxquels on fait plus que s’habituer. Ce sont aussi des bonheurs tout simples, comme celui de traverser un pont sans bouchon ou de dépasser les automobilistes pressés lorsqu’on longe l’autoroute…
Voyager en train, c’est développer un nouveau rapport à la durée, non seulement parce que certains voyages nous font perdre toute notion du temps, mais aussi parce qu’on a la possibilité d’utiliser ce temps pour travailler, lire ou dormir plutôt que de le perdre, captif du siège d’une automobile ou d’un autobus. Ce n’est pas le temps qu’on prend pour faire notre déplacement qui compte, mais celui qu’on y perd. Plus qu’un moyen de transport, le train est un véritable milieu de vie. « Zéro heure, zéro minute, zéro seconde », pourrait-on à la limite dire, dans la mesure où on n’a pas à mettre sa vie « sur pause » et qu’on peut (presque) y vivre normalement.
Au-delà de ces questions trop rationnelles, il y a ce « pouvoir du train » ou cet « effet train » qui fait que des voyageurs stressés et impatients deviennent complètement détendus dès qu’ils mettent les pieds à bord. Une absence de gêne qui fait qu’on n’hésite pas à s’asseoir à côté d’une vieille radoteuse ou d’une jolie jeune femme à l’allure farouche. Parce que c’est normal. Parce qu’on est dans le train. À la différence de la clientèle plus homogène de l’autobus (ceux qui n’ont pas encore d’auto ou ceux qui n’en ont plus), le train, lui, rassemble – et rapproche – des voyageurs de tous âges et de toutes classes sociales. Une improbable mixité de personnes pour qui ces lieux communs que sont le salon, le « dôme » ou le restaurant deviennent des lieux de rencontres et d’échanges. Un voisinage qui atteint son paroxysme dans la petite salle à manger dans laquelle de purs inconnus se trouvent « forcés » de partager la même table. Des discussions souvent animées, dans une ambiance parfois festive, prennent forme sans jamais risquer de déranger ceux qui dorment, lisent ou relaxent dans les autres voitures.
Un côté humain qui s’exprime aussi par l’équipage que l’uniforme n’étouffe pas, à des lieues du classique chauffeur de bus « bougonneux ». Certains frôlent l’exubérance, d’autres sont plus réservés, mais tous sont chaleureux. Service dans les deux langues officielles oblige, c’est aussi un contact privilégié avec la culture anglophone du Québec et la culture francophone du reste du pays.
Alors non, le train n’est pas un mauvais moyen de transport. En fait, son principal problème, c’est simplement qu’il est aux antipodes de l’omniprésente auto et de son « où je veux, quand je veux ». À l’heure où les questions environnementales nous préoccupent de plus en plus et que, régionalement, il y a des investissements dans l’asphalte et des coupes dans le rail qu’on ne souhaite pas voir, il mérite plus que jamais qu’on l’apprivoise, qu’on l’aime et, au besoin, qu’on se batte pour sa sauvegarde.