Un discours récurrent de ceux qui croient que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes affirme haut et fort que si le monsieur ou la madame n’est pas content ou contente, il ou elle n’a qu’à attendre les prochaines élections.
La démocratie : un jour aux urnes, quatre ans sur ta chaise !
Les conservateurs à Ottawa le savent bien. Forts de leur majorité, ils sortent les gros canons et tirent à bout portant. Avec la loi C-38, le gouvernement de Stephen Harper vient de transformer des pans entiers de la législation canadienne en matière de protection de l’environnement, de recherche scientifique, de droit humanitaire et de justice sociale, et cela, sans aucun égard pour la démocratie.
En principe, la loi aurait dû se limiter aux mesures contenues dans le dernier budget fédéral, mais l’omnipotent Conseil des ministres en a décidé autrement. Il a créé un « monstre » législatif de plus de 400 pages qui s’attaque à près de 70 lois. Le droit des réfugiés, les espèces marines protégées, les habitats marins, la sécurité de la vieillesse, l’assurance-emploi, l’inspection des aliments, les mesures d’évaluation environnementale, le financement des groupes sociaux, les mesures de surveillance des services secrets canadiens… tout passe à la moulinette idéologique des conservateurs.
Vous vouliez un budget, on vous donne un pays
De l’aveu même du gouvernement, il s’agit de modifier en profondeur la façon de gouverner au Canada. La recette est connue : moins d’État, plus de marché, culture de l’imputabilité individuelle et loi du bâillon pour ceux et celles qui désirent s’opposer aux volontés gouvernementales. Avec la loi C-38, finis les chômeurs qui refusent les « McJobs », les vieux qui n’épargnent pas suffisamment, les « faux » réfugiés, la recherche scientifique « inutile », les fonctionnaires « en trop » et les subventions publiques aux écologistes et autres radicaux du même acabit.
Le mot d’ordre : On bouge ! On bouge !
Pour s’assurer de leur succès, les conservateurs ne se contentent pas de leur majorité. Ils musèlent le parlement. Le projet de loi C-38 a été étudié à « pas pressés », le gouvernement ayant refusé de scinder son étude en différentes parties. Bousculés, les experts et les organismes qui voulaient se faire entendre ont dû le faire dans des délais restreints dictés par le gouvernement.
Les députés de l’opposition ont livré une bataille de procédures (près de 1000 amendements proposés) et ont cherché à contester la recevabilité de la loi, mais rien n’y a fait. Au contraire, le président de la Chambre des communes vient de normaliser la pratique des projets de loi titanesques, et il n’y a pas de loi contre la récidive conservatrice. Présage de l’avenir, les images d’une longue séance soporifique de votes législatifs dont le dénouement est connu d’avance.
Stephen Harper, les deux mains sur le volant (d’un F-35), agit en roi et maître. Tout est planifié pour restreindre les débats et faire taire les critiques. Et si cela ne suffit pas, un ministre conservateur vous accuse de « blanchir l’argent » du « terrorisme international » sous prétexte que vous recevez des dons d’organisations internationales.
Kyoto est mort, vive Fort McMurray !
Le moindre respect des règles de la démocratie parlementaire veut que l’on écoute les députés, les organismes et les citoyens dans le cadre des travaux du parlement, dans les commissions ou lors d’assemblées publiques. Mais les conservateurs ont démontré depuis leur arrivée au pouvoir qu’ils font peu de cas de ces règles (abrogation du parlement, annonce des mesures législatives en dehors du parlement, accusation à l’emporte-pièce).
Il s’est même trouvé parmi les députés conservateurs une voix discordante (David Wilks de la Colombie-Britannique) pour se plaindre de l’impuissance des simples députés devant la toute-puissance du cabinet. C’est dire !
Le gouvernement Harper ne se contente pas de bâillonner le parlement. Avec C-38, il poursuit sa lutte acharnée contre ses opposants. La loi comprend une réforme du processus d’évaluation environnementale qui non seulement en limite la durée, mais stipule également que seuls les groupes « directement concernés » seront invités à la table de discussion, et il revient au ministère de déterminer la pertinence des invitations. La loi s’attaque également au financement des groupes environnementaux et sociaux, sans compter les nouveaux pouvoirs du gouvernement qui peut désormais contourner les décisions de l’Office national de l’énergie s’il les considère comme étant contraires aux intérêts économiques (bitumineux) du pays.
La démocratie, c’est pour les autres
Dans cette conception étriquée de la démocratie, non seulement les citoyens sont invités à ne s’exprimer qu’une fois tous les quatre ans (et ils peuvent toujours s’en abstenir), mais on s’assure de rendre la tâche des plus difficiles à ceux et celles qui ont à cœur une citoyenneté active qui s’exerce au quotidien.
Pour lutter contre la loi C-38 et refuser d’autres « coups de force » conservateurs, plus de 500 groupes de la société civile qui œuvrent dans les domaines de l’environnement, du droit humanitaire et de la justice sociale ont lancé une pétition et une campagne, « Silence, on parle ». Un autre carré, noir sur fond blanc celui-là, a aussi fait son apparition. La lutte se poursuit.
Parce que la démocratie n’attend pas quatre ans, l’opposition aux velléités autoritaires des gouvernements est un devoir de tous les jours. Une majorité au parlement ne donne pas tous les droits.
Il est bon de rappeler, en ces temps de crise sociale et de restriction des libertés, que l’adage nul n’est au-dessus des lois vise à limiter le pouvoir arbitraire des gouvernants et non à confiner les citoyens dans l’indifférence.