Depuis de nombreuses années, les professionnels de la santé dans les CHSLD sonnent l’alarme quant au manque de ressources professionnelles et à l’absence de volonté pour améliorer les soins aux personnes âgées. On nous parle de la complexité du phénomène du vieillissement, des études en cours. Qu’est-ce qui sépare l’employeur (l’État) et les employés des CHSLD aux prises avec la souffrance et le manque de moyens ? Régine Laurent, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec, dénonce : depuis 2001, des études, des comités, des concertations ont vu le jour sans pour autant que les soins se soient adaptés aux véritables problèmes que vivent les aînés les plus vulnérables. Un fossé s’élargit sans cesse entre la réalité terrain quotidienne des travailleurs et la fiction administrative et politique.
Malheureusement, le travail réalisé par les organismes comme le Centre communautaire pour aînés Relais Santé, à Matane, ne peut faire autorité même si leur expérience sur le terrain illustre parfaitement l’écart entre l’autonomie de la personne (autonomie souhaitée, encouragée) et la prise en charge de cette même personne dans les CHSLD lorsque la santé s’est dégradée. Mais qui s’occupe de ces personnes entre ces deux pôles, lorsqu’elles entrent dans cette « zone sans nom », à la frontière du déséquilibre entre la « vie normale » et le « début de la fin ». Une longue fin de voyage. Si la personne n’est pas seule, un proche l’aidera dans la mesure du possible : une assistance de première ligne sans les outils autres que l’humaine complicité. Sinon, imaginez le pire et vous serez certain de ne pas vous tromper. Un logement insalubre, un manque de soins et de soutien, une situation de maltraitance qui est demeurée cachée de nombreuses années. Dans certains cas, nos criminels sont mieux soignés que nos aînés. Ils ont du soutien psychologique, des visites conjugales et familiales, des repas chauds trois fois par jour.
Imaginez une dame vivant seule avec une vingtaine de chats, dix chiens, quinze pigeons, des poules dans sa maison et un cheval à soigner à l’extérieur ; et cela sans eau courante ni visites de sa famille depuis deux ans ; sans parler de sa médication sans quoi « plus rien ne va ». En Montérégie, ce cas a fait les manchettes. Un journaliste en a remis, comme s’il s’agissait d’une situation où la Municipalité avait été négligente, tout en questionnant l’absence de la famille. Un organisme de protection des animaux est intervenu bénévolement tandis que la dame se retrouvait internée dans un centre de longue durée. Pourtant elle n’était « pas folle », tout juste considérée comme une « mémé à chats » comme il en existe beaucoup. Inutile de décrire l’état des lieux. La maison devra être détruite. Au Bas-Saint-Laurent-Gaspésie, y a-t-il un moyen de savoir si ça existe ?
Coordonnateur du Carrefour d’information pour aînés de Matane, il m’est arrivé à de nombreuses reprises de me retrouver en comité de travail où un « plan d’action », un « modèle » devait être mis en place pour une action concertée. Malheureusement, il semble que notre message ne passe pas. Et si nous parlons trop « crument » des vrais événements, des vraies situations que nous côtoyons quotidiennement, on nous assure qu’il y a exagération, que l’on « fait peur » pour d’obscures raisons. Allez savoir ? Nous ne pouvons parler froidement en comité de travail de l’urgence de la situation, du deuil qui s’éternise ; il ne faut pas mentionner certains cas ciblés d’une dérive marginalisée, de la souffrance psychologique et physiologique où s’enfonce la personne vulnérable. Nous préférons être rassurés sur le bon fonctionnement du système, des efforts louables accomplis depuis peu. Pourtant, je dois vous dire que nous travaillons à la ligne de rupture. À la frontière où le monde bascule, là où la maladie insidieuse rattrape cette personne aimée alors que les tenailles de la démence commencent à se manifester. Oh ! de petits riens au début, des oublis, un robinet, un rond allumé, un achat coûteux sans raison, un compte de banque vidé. Et le proche aidant doit prendre une décision après avoir tout fait pour faire reculer ce deuil qui ressemble à une perte de sang, une perte de sens, une absence qui s’installe avec ses gros sabots. Le regard se vide peu à peu de toute intelligence et les membres abandonnent le geste connu. Et c’est là que nous accompagnons, que nous conseillons, dans la mesure du possible, ces personnes prises en otage d’un « destin » qu’elles ne méritent pas. Personne ne devrait être soumis à un tel traitement où la maladie de l’autre devient la sienne par amour, par amitié. Pourtant, ces situations n’ont pas fini de se présenter. Leur évolution même au sein de notre société est la preuve qu’il existe autre chose que l’argent, autre chose que la quête du pouvoir où l’égoïsme le dispute à l’abandon, à la solitude, à la fuite. Comment aider ? Existe-t-il un véritable protocole d’intervention pour soutenir le proche aidant ? Un manque d’intervenants sociaux, un manque de ressources en psychologie font en sorte que la porte du Centre communautaire pour aînés Relais Santé est empruntée parce qu’elle est tout simplement sur la route du désespoir, la route du deuil et du besoin de répit. Le communautaire est de plus en plus utilisé comme « assistance de première ligne ». C’est comme sœur Céline qui, depuis 20 ans, travaille avec sa communauté à fournir des denrées alimentaires aux démunis. Depuis peu, même le CLSC lui envoie ses demandes d’aide. Jamais elle n’a vu autant de pauvreté dans un pays riche, dans une ville somme toute très industrialisée. Pourtant, Matane se vante de ses usines, de son port et de son parc éolien. Richesse et pauvreté se côtoient sans que les ressources et le partage soient au rendez-vous. Il y a une incompréhension atavique entre deux réalités humaines. Un manque de communication et, j’ajouterais, un manque de langage.
Entre les deux pôles, tout ce temps qui se compte en années et en mois, il y a le proche aidant qui n’a pas le soutien psychologique nécessaire à son équilibre et à son « travail » d’intervenant social auprès de la personne aimée. Parce que c’est par amour ou amitié qu’un aidant s’avance sur le terrain de l’assistance de première ligne, on le laisse se débrouiller, ou on lui offre des alternatives coûteuses. Il faut pourtant que les soins à domicile se poursuivent sans répit. Alors on endure, on se tait et on tombe malade à son tour. Il n’est pas étonnant qu’un si grand nombre de proches se sauvent ailleurs, pour ne pas voir, pour ne pas supporter l’insupportable.
Comment faire passer « le message » ? Comment trouver le moyen « d’aider vraiment » ? Il n’est pas uniquement question ici de financement, quoique criant. Il y aussi et surtout une question de priorité et de redistribution des services et des soins. Sommes-nous condamnés à la « petitesse » de nos moyens, alors que les cadres de l’Université de Concordia reçoivent trois millions de dollars en prime de départ et que les banques et les caisses populaires accumulent des milliards pour leurs actionnaires favoris ? Cet automne, nous avons connu le mouvement des indignés. Il faudrait ce printemps-ci reconnaître le mouvement des proches aidants, ces citoyens bénévoles qui tiennent les liens sociaux avec leurs bras tendus. Peut-être alors que « la fiction financière » qui appauvrit, qui endette parce que c’est le seul système « reconnu » par nos gouvernements se réveillera de son rêve de « richesse négative ».
L’auteur est coordonnateur du Carrefour d’information pour aînés situé au Centre communautaire pour aînés Relais Santé, à Matane.
Le Centre communautaire pour aînés Relais Santé est un milieu de vie permettant de briser l’isolement des aînés et des aidants naturels en leur offrant des services répondant à leurs besoins et en instaurant un réseau d’entraide favorable à l’épanouissement de la personne.
Il a pour mission de favoriser le maintien à domicile des adultes vieillissants ou en perte d’autonomie en offrant des services adaptés dans une perspective de prévention pour le maintien et le développement d’habilités fonctionnelles et sociales.
Le Carrefour d’information pour aînés est un service d’accompagnement personnalisé qui vise à faciliter le repérage et la compréhension des différents formulaires gouvernementaux. Un centre de documentation, un service internet et une équipe de bénévoles permettent d’offrir des services. Les bénévoles peuvent se déplacer à domicile afin d’aider certaines personnes à comprendre des documents gouvernementaux. Ces bénévoles sont répartis sur le territoire de la MRC de Matane et servent de « vigiles » dans la communauté.