Politique

La liberté, pour un monde plus juste et plus équitable

Par Raymond Beaudry le 2012/05
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La liberté, pour un monde plus juste et plus équitable

Par Raymond Beaudry le 2012/05

La grève étudiante nous élève. Dans le sens qu’elle nous éduque à l’importance de l’espace public comme lieu de débats dans un dialogue qui mobilise notre capacité de penser et de juger. Mais aussi, elle ouvre des espaces de réflexion sur des enjeux qui touchent aux fondements mêmes de la société et de notre capacité d’agir comme citoyen et citoyenne.

Cet appel à la réflexion atteint difficilement le pouvoir étatique qui préfère fermer les portes et imposer le marché du travail comme modèle de la formation universitaire. Dans cette logique d’une université au service des besoins des entreprises, la formation au jugement et à la faculté de penser devient non seulement secondaire, mais court-circuite le sens même de l’éducation. C’est la raison pour laquelle « [n]ous voici rendus à ne plus demander aux gens ce qu’ils pensent, mais bien à leur demander “quel effet cela a-t-il sur vous ?”1 ». C’est cette tendance que le gouvernement Charest adopte dans son rapport de force avec le mouvement étudiant en rabaissant continuellement la lutte sur le terrain de ses effets négatifs (perte de la session, perte d’emplois durant l’été), laissant ainsi entrevoir une perte de temps. Ce sont les libertés individuelles qui sont défendues par le pouvoir politique au détriment des solidarités étudiantes qui nous invitent à un immense devoir de réflexion, « à prendre en main l’essor de nos vies » et à un « parti pris pour la société et la justice2 ». Usant de cette vieille stratégie qui consiste à diviser pour régner (ou encore de cet art du pouvoir qui consiste à épuiser la raison en tarissant sa capacité de lier et de délier les actions) et refusant d’agir comme médiateur des conflits sociaux, l’État se campe du côté des voyous, préférant envoyer ses policiers pour réprimer le « droit de rêver » tout en se livrant au double jeu de la tyrannie : celle de la réalité et celle de l’urgence. La tyrannie de la réalité est celle qui fait disparaître le rêve, les idées, les valeurs, les symboles, les identités de notre horizon, alors que la tyrannie de l’urgence contribue à nous empêcher de penser le passé et l’avenir, trop préoccupés que nous soyons à agir dans l’immédiateté.

Le printemps étudiant, et plus largement le « printemps québécois », s’inscrit contre ces nouvelles formes de vie et d’oppression du monde où domine l’idée d’un branchement de la connaissance sur des impératifs financiers qui moulent les « étudiants-clients » dans le carcan d’« acheteurs-payeurs » pour une formation universitaire. L’action étudiante prend alors la forme d’une résistance pour nous libérer d’une crise profonde (et les manifestations sont nombreuses) que le pouvoir persiste à nier malgré les appels répétés d’universitaires et de la société civile à rouvrir le contrat social. Mais aussi pour nous libérer de cette idée  néolibérale de la liberté qui est devenue, pour paraphraser Karl Marx, l’opium du peuple. Une liberté qui atomise les individus, les excluant ainsi de tout rapport avec la société, et avec la communauté étudiante en particulier, pour se laisser happer par la tentation de la judiciarisation des conflits afin de mettre fin à tout débat politique qui vise à changer les règles au nom d’une norme commune qui serait autre que celle d’un « indice de performance » (dixit François Legault lorsqu’il était ministre de l’Éducation) appliqué à la réussite scolaire pour aplanir l’université aux besoins du marché.

Ces manières divergentes de comprendre la liberté traduisent au moins deux façons de concevoir l’action étudiante. L’une encadre la liberté individuelle avec le souci du bien commun et de la vie en société, alors que l’autre fait de la liberté individuelle le simple souci de soi, sans être redevable à l’égard d’autrui ou de la moindre pensée pour les générations futures. Mais la perversion de la liberté fait plus que cela : elle cherche à libérer l’université de son caractère institutionnel pour la faire passer du côté des organisations comme mode de fonctionnement. Dans un tel système universitaire, la communauté étudiante (et enseignante) baigne dans l’idée que la formation et la recherche sont d’abord techniques et répondent à des besoins immédiats. Cette manière de concevoir l’éducation finit par nous faire oublier que l’essentiel des règles de la vie universitaire repose sur des considérations « cognitives, normatives et esthétiques. Elles sont philosophiques et scientifiques, morales et politiques, littéraires et artistiques. C’est tout ! C’est le critère et la limite spécifique de la tâche universitaire3 ».

Quand cette mission lui échappe, l’université prend la forme d’une entreprise en adoptant des stratégies de marketing propres aux valeurs et au modèle managériaux. On n’a qu’à penser à la stratégie de communication de l’UQAR avec son thème de la SOIF accompagné d’un nom ou d’un verbe (SOIF de réponses, de dépassement, de s’investir) dans le but de rejoindre des publics cibles, de créer une image de marque et de se distinguer pour dépasser ses concurrents. Dans cette logique d’entreprise, le salaire des dirigeants a tendance à augmenter démesurément et la capacité de générer des profits sert de référence pour le choix de chercheurs, de la recherche et de partenariats public-privé4. La hausse des droits de scolarité s’inscrit dans ce même raisonnement partagé par l’ensemble des recteurs. Dans une telle conception de l’université, il devient alors impossible de penser la gratuité scolaire quand la culture de la gestion universitaire obéit à la logique de la rentabilité et de la seule défense des intérêts individuels.

La grève étudiante contre la hausse des droits de scolarité ne serait alors que la pointe de l’iceberg d’une crise qui est globale. D’autres luttes de la société civile se poursuivront puisqu’elles sont au cœur même de la liberté d’agir pour un monde plus juste et plus équitable.

___________

1. Gilles Gagné, cité par Jacques Grand’Maison, Quand le jugement fout le camp, Éditions Fides, 1999.

2. Collectif étudiant UQAM, L’Essor de nos vies. Parti pris pour la société et la justice, Lanctôt et Société, 2000.

3. Michel Freitag, Le naufrage de l’université, Éditons Nota bene, 1998.

4. On lira avec intérêt l’article de Florence Piron, « Université Laval : Pourquoi je quitte la course au rectorat », paru dans Le Devoir du 29 mars 2012, qui porte sur deux modèles d’université dont l’un repose sur le modèle managérial, et l’autre sur un service public qui défend son intégrité en se tenant à distance du pouvoir politique et économique.

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