À vous, enfants meurtris du Québec
À vous, qui vous êtes levés un matin
Pour plus de justice
Pour plus d’égalité
Suspendant le cours de vos vies
Pour entrer dans la Vie
Acceptant l’inconfort et l’incertitude
Des lendemains
Pour le bien commun
Avec pour seul emblème
de votre refus
un carré rouge
À vous, enfants meurtris du Québec
Qui marchez dans la rue
Depuis des mois
Supportant les coups de matraques
Le poivre de Cayenne
Les bleus, les insultes
Les barreaux des prisons
La violence des « forces de l’ordre »
L’arrogance, le mépris
De ceux qui soit-disant gouvernent
Mais qui en réalité usurpent les titres
jettent la honte et l’opprobre
sur le peuple
et désavouent la fonction même du politique
qui est de mettre de l’ordre dans la cité
pour que les citoyens puissent vivre ensemble
dans une direction commune
sans se déchirer
À vous, enfant meurtris du Québec
Que l’on traite d’enfants rois, de bébés gâtés
Alors que vous êtes exemplaires
Vous êtes : notre étendard
Ceux par qui arrive le réveil de toute une nation
Ceux qui nous sortent de notre léthargie
De notre sommeil
Vide de sens et de conscience
Ceux qui nous rassemblent
Et choisissent de s’engager
Avec vous nous apprenons
À répondre de nos actes
À répondre de nos paroles
À être fidèle à notre cœur
À ne pas céder à la peur
À la tyrannie de l’intimidation
À vous, enfants meurtris du Québec
Pas écoutés, bafoués, humiliés
Et qui pourtant avancez dans la rue
Nus, désarmés
Pour nous apprendre la vulnérabilité
Qui renouez avec la sagesse du monde
Avec Gandhi, avec Thoreau
Pour nous apprendre la désobéissance civile
Lorsqu’il est temps
Pour éviter d’avancer dans la vie
Comme des zombies, comme des moutons
Que l’on conduit à l’abattoir
Et qui ne relèvent la tête
Que pour se la faire couper
À vous, enfants meurtris du Québec
Vous ne serez pas des martyrs
J’ai mal à l’âme, j’ai mal au cœur
J’ai peur pour ceux que l’on menace
Je tremble pour les enfants qui ont grandi
Trop vite dans une société qui se dégage
De toute responsabilité
Qui use de mauvaise foi
À tour de bras et de manivelle
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? »
« Si ce n’est toi c’est donc ton frère. »
Et qui manigance, qui tournicote, qui traficote
Qui punit les manifestants masqués
Comme si eux avançaient sans armure
À visage découvert
Ô toi qui nous gouvernes sans gouvernail
C’est la fin de l’enfance
De l’adolescence
De l’insouciance
Nous ne pouvons plus fermer les yeux
Nous ne pouvons plus dire
« Tu n’a rien vu à Hiroshima »
Aujourd’hui je vois
Que tu fais mal à mon peuple
Celui que j’ai choisi
Cette liberté que j’aime tant chez lui
D’expression, de création,
Ce grain de folie qui fait tant de bien
À la Française, à l’Européenne que je suis,
Tu veux la bâillonner !
Mais c’est pour cela même que j’ai traversé l’océan
C’est pour trouver ma voix dans ce pays neuf
C’est pour renouer avec mes racines
C’est pour guérir de mes peurs
Dans cet espace vierge et vaste
où tout est à inventer
C’est pour cela que je m’insurge
Et que je dis : non !
Non, je ne suis pas d’accord
Non, tu ne peux impunément
Dans ce pays démocratique
Bafouer la voix de tes enfants
Fouler aux pieds les libertés fondamentales
En faisant comme si de rien n’était
Ni vu ni connu
Et la dictature, et les chars, et la torture ?
Vont-ils apparaître bientôt dans le paysage
Et font-ils partie de ce tour de passe-passe?
Ô toi qui gouverne sans gouvernail
Veux-tu vraiment que les morts se lèvent ?
Que les fondateurs de cette nation se retournent dans leur tombe ?
Veux-tu l’apocalypse, la fin du monde ?
Est-ce vraiment cela que tu veux
Déclencher une guerre civile ?
Quand un même peuple se déchire en deux
On appelle ça un fratricide
Quand un père tue ses enfants
On appelle ça infanticide
« Liberté j’écris ton nom »
dans le ressac du Saint-Laurent
et je joue du tambour
sur l’île au Massacre
débaptisée pour effacer
les déchirements d’un peuple
et oser la réconciliation
Ô toi qui gouverne sans gouvernail
Mesures-tu la portée de chacun des actes que tu poses
de chacune des paroles que tu prononces
As-tu oublié que tu es au service du peuple
Que tu le représentes ?
Que ta fonction est un don, est une grâce
Qu’il s’agit d’habiter le plus dignement possible
Et non un dû à conserver coûte que coûte
Pour prolonger faveurs et passe-droits ?
L’oubli pèse lourd sur la conscience
Et le remords ronge les insouciants
Ô toi qui gouverne sans gouvernail
Sais-tu que tes enfants pleurent chaque nuit dans le noir
Avant de se lever le matin et de partir au front
En vaillants petits soldats
Avec leurs paroles et leurs écrits
Ils se serrent les coudes
Avec pour seule arme
La sensation que leur combat est juste
Nécessaire, essentiel
Pour le monde dans lequel ils veulent vivre
Puisse advenir
Ô toi qui gouverne sans gouvernail
Sais-tu si quelqu’un est là pour les bercer
quand ils ont peur
Pour les réchauffer
Quand ils grelottent
Pour éteindre les incendies
Allumés dans leur cœur
Par l’autorité en laquelle ils n’ont plus foi
Et qui les consume chaque jour
Un peu plus autant que leur faim ?
Ô toi qui gouvernes sans gouvernail
Tu es là et pourtant tu n’entends pas
Tu es là et pourtant tu ne vois pas
Que te faudra-t-il donc pour lever ce voile
Qui t’aveugle et te fait trébucher ?
Quelle est cette peur immonde
Qui étreint ton cœur au point
Que tu ne daignes pas lever les yeux
Sur tes propres enfants ?
Ils demandent
À être traités comme des être humains
Et non comme des parias
Ou des criminels
Ils ouvrent la voix du dialogue
Et tu leur barres les portes
Ils offrent leur bonne volonté
Et tu les mets hors-la-loi
Comme au temps des cowboy
Et des indiens
Ô toi qui gouverne sans gouvernail
Au petit bonheur la chance
Sache que nous sommes debout
Et nous ferons entendre notre voix
Quelle qu’elle soit
C’est un droit trop chèrement acquis
Pour le déposer à tes pieds
Sans combattre
Sans écrire
Car écrire est un acte politique
Et c’est la voie qui est la mienne
À vous, enfants meurtris du Québec
Recevez toute ma gratitude
Car en ce 18 mai 2012
Je décide de faire acte de présence
Acte de constance et de persévérance
Acte d’allégeance aux minorités en moi
Qui ne sont pas entendues
Et je m’engage de tout mon corps
de tout mon cœur, de toute mon âme
Dans cette voie qui m’attend depuis toujours
Et que j’ai refusé d’assumer
Par peur, par préoccupation, par lâcheté
Celle d’écrivaine
Je nais à ma vocation
Suscitée par votre maturité
C’est un appel du dedans
Qui attendait l’étincelle
Vous êtes ceux qui ont mis le feu aux poudres
À vous, enfants chéris du Québec
Veillons ensemble pour un monde plus juste
Pour plus de sens et de beauté
Sans nous voiler la face
Sans tomber dans l’idéal
Qui fait haïr l’écart avec le réel
Assumons qui nous sommes
Et qui nous devenons
Assumons nos vocations
Ce pour quoi nous sommes sur cette terre
Faisons chacun ce que personne d’autre ne peut faire
Mieux que nous
Ensemble
Car seuls nous ne pouvons rien
Oui, soyons solidaires
De nous, des autres, du monde qui nous entoure
Ayons le souci de l’autre comme de nous-même
Marchons, chantons, rêvons
Enfantons
Arrosons les graines de notre jardin
Veillons ensemble à ce que les intempéries
Ne nous fassent jamais, jamais perdre la flamme
D’amour brûlant qui nous anime
Nous verrons où cela nous mène
J’ai confiance en notre avenir.