Actualité

À vous, enfants meurtris du Québec

Par Thuy Aurélie Nguyen le 2012/05
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À vous, enfants meurtris du Québec

Par Thuy Aurélie Nguyen le 2012/05

À vous, enfants meurtris du Québec

À vous, qui vous êtes levés un matin

Pour plus de justice

Pour plus d’égalité

Suspendant le cours de vos vies

Pour entrer dans la Vie

Acceptant l’inconfort et l’incertitude

Des lendemains

Pour le bien commun

Avec pour seul emblème

de votre refus

un carré rouge

À vous, enfants meurtris du Québec

Qui marchez dans la rue

Depuis des mois

Supportant les coups de matraques

Le poivre de Cayenne

Les bleus, les insultes

Les barreaux des prisons

La violence des « forces de l’ordre »

L’arrogance, le mépris

De ceux qui soit-disant gouvernent

Mais qui en réalité usurpent les titres

jettent la honte et l’opprobre

sur le peuple

et désavouent la fonction même du politique

qui est de mettre de l’ordre dans la cité

pour que les citoyens puissent vivre ensemble

dans une direction commune

sans se déchirer

À vous, enfant meurtris du Québec

Que l’on traite d’enfants rois, de bébés gâtés

Alors que vous êtes exemplaires

Vous êtes : notre étendard

Ceux par qui arrive le réveil de toute une nation

Ceux qui nous sortent de notre léthargie

De notre sommeil

Vide de sens et de conscience

Ceux qui nous rassemblent

Et choisissent de s’engager

Avec vous nous apprenons

À répondre de nos actes

À répondre de nos paroles

À être fidèle à notre cœur

À ne pas céder à la peur

À la tyrannie de l’intimidation

À vous, enfants meurtris du Québec

Pas écoutés, bafoués, humiliés

Et qui pourtant avancez dans la rue

Nus, désarmés

Pour nous apprendre la vulnérabilité

Qui renouez avec la sagesse du monde

Avec Gandhi, avec Thoreau

Pour nous apprendre la désobéissance civile

Lorsqu’il est temps

Pour éviter d’avancer dans la vie

Comme des zombies, comme des moutons

Que l’on conduit à l’abattoir

Et qui ne relèvent la tête

Que pour se la faire couper

À vous, enfants meurtris du Québec

Vous ne serez pas des martyrs

J’ai mal à l’âme, j’ai mal au cœur

J’ai peur pour ceux que l’on menace

Je tremble pour les enfants qui ont grandi

Trop vite dans une société qui se dégage

De toute responsabilité

Qui use de mauvaise foi

À tour de bras et de manivelle

« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? »

« Si ce n’est toi c’est donc ton frère. »

Et qui manigance, qui tournicote, qui traficote

Qui punit les manifestants masqués

Comme si eux avançaient sans armure

À visage découvert

Ô toi qui nous gouvernes sans gouvernail

C’est la fin de l’enfance

De l’adolescence

De l’insouciance

Nous ne pouvons plus fermer les yeux

Nous ne pouvons plus dire

« Tu n’a rien vu à Hiroshima »

Aujourd’hui je vois

Que tu fais mal à mon peuple

Celui que j’ai choisi

Cette liberté que j’aime tant chez lui

D’expression, de création,

Ce grain de folie qui fait tant de bien

À la Française, à l’Européenne que je suis,

Tu veux la bâillonner !

Mais c’est pour cela même que j’ai traversé l’océan

C’est pour trouver ma voix dans ce pays neuf

C’est pour renouer avec mes racines

C’est pour guérir de mes peurs

Dans cet espace vierge et vaste

où tout est à inventer

C’est pour cela que je m’insurge

Et que je dis : non !

Non, je ne suis pas d’accord

Non, tu ne peux impunément

Dans ce pays démocratique

Bafouer la voix de tes enfants

Fouler aux pieds les libertés fondamentales

En faisant comme si de rien n’était

Ni vu ni connu

Et la dictature, et les chars, et la torture ?

Vont-ils apparaître bientôt dans le paysage

Et font-ils partie de ce tour de passe-passe?

Ô toi qui gouverne sans gouvernail

Veux-tu vraiment que les morts se lèvent ?

Que les fondateurs de cette nation se retournent dans leur tombe ?

Veux-tu l’apocalypse, la fin du monde ?

Est-ce vraiment cela que tu veux

Déclencher une guerre civile ?

Quand un même peuple se déchire en deux

On appelle ça un fratricide

Quand un père tue ses enfants

On appelle ça infanticide

« Liberté j’écris ton nom »

dans le ressac du Saint-Laurent

et je joue du tambour

sur l’île au Massacre

débaptisée pour effacer

les déchirements d’un peuple

et oser la réconciliation

Ô toi qui gouverne sans gouvernail

Mesures-tu la portée de chacun des actes que tu poses

de chacune des paroles que tu prononces

As-tu oublié que tu es au service du peuple

Que tu le représentes ?

Que ta fonction est un don, est une grâce

Qu’il s’agit d’habiter le plus dignement possible

Et non un dû à conserver coûte que coûte

Pour prolonger faveurs et passe-droits ?

L’oubli pèse lourd sur la conscience

Et le remords ronge les insouciants

Ô toi qui gouverne sans gouvernail

Sais-tu que tes enfants pleurent chaque nuit dans le noir

Avant de se lever le matin et de partir au front

En vaillants petits soldats

Avec leurs paroles et leurs écrits

Ils se serrent les coudes

Avec pour seule arme

La sensation que leur combat est juste

Nécessaire, essentiel

Pour le monde dans lequel ils veulent vivre

Puisse advenir

Ô toi qui gouverne sans gouvernail

Sais-tu si quelqu’un est là pour les bercer

quand ils ont peur

Pour les réchauffer

Quand ils grelottent

Pour éteindre les incendies

Allumés dans leur cœur

Par l’autorité en laquelle ils n’ont plus foi

Et qui les consume chaque jour

Un peu plus autant que leur faim ?

Ô toi qui gouvernes sans gouvernail

Tu es là et pourtant tu n’entends pas

Tu es là et pourtant tu ne vois pas

Que te faudra-t-il donc pour lever ce voile

Qui t’aveugle et te fait trébucher ?

Quelle est cette peur immonde

Qui étreint ton cœur au point

Que tu ne daignes pas lever les yeux

Sur tes propres enfants ?

Ils demandent

À être traités comme des être humains

Et non comme des parias

Ou des criminels

Ils ouvrent la voix du dialogue

Et tu leur barres les portes

Ils offrent leur bonne volonté

Et tu les mets hors-la-loi

Comme au temps des cowboy

Et des indiens

Ô toi qui gouverne sans gouvernail

Au petit bonheur la chance

Sache que nous sommes debout

Et nous ferons entendre notre voix

Quelle qu’elle soit

C’est un droit trop chèrement acquis

Pour le déposer à tes pieds

Sans combattre

Sans écrire

Car écrire est un acte politique

Et c’est la voie qui est la mienne

À vous, enfants meurtris du Québec

Recevez toute ma gratitude

Car en ce 18 mai 2012

Je décide de faire acte de présence

Acte de constance et de persévérance

Acte d’allégeance aux minorités en moi

Qui ne sont pas entendues

Et je m’engage de tout mon corps

de tout mon cœur, de toute mon âme

Dans cette voie qui m’attend depuis toujours

Et que j’ai refusé d’assumer

Par peur, par préoccupation, par lâcheté

Celle d’écrivaine

Je nais à ma vocation

Suscitée par votre maturité

C’est un appel du dedans

Qui attendait l’étincelle

Vous êtes ceux qui ont mis le feu aux poudres

À vous, enfants chéris du Québec

Veillons ensemble pour un monde plus juste

Pour plus de sens et de beauté

Sans nous voiler la face

Sans tomber dans l’idéal

Qui fait haïr l’écart avec le réel

Assumons qui nous sommes

Et qui nous devenons

Assumons nos vocations

Ce pour quoi nous sommes sur cette terre

Faisons chacun ce que personne d’autre ne peut faire

Mieux que nous

Ensemble

Car seuls nous ne pouvons rien

Oui, soyons solidaires

De nous, des autres, du monde qui nous entoure

Ayons le souci de l’autre comme de nous-même

Marchons, chantons, rêvons

Enfantons

Arrosons les graines de notre jardin

Veillons ensemble à ce que les intempéries

Ne nous fassent jamais, jamais perdre la flamme

D’amour brûlant qui nous anime

Nous verrons où cela nous mène

J’ai confiance en notre avenir.

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