Portée par son intérêt pour les rituels et les rites propres à l’homme ou aux animaux dans leurs relations à la nature, Lise Labrie, artiste qui vit et travaille au Bic, a toujours montré dans son approche des arts visuels une grande justesse dans l’utilisation des signes et des matériaux qui réfèrent à cette nature. Ces préoccupations artistiques sont liées à la conservation du patrimoine vivant, aux métissages culturels et à l’identité territoriale propre à notre nordicité.
Au cour des années, on a pu voir dans plusieurs manifestations artistiques dans le Bas-Saint-Laurent ou ailleurs au Québec et à l’étranger (France, Mexique, etc.) sa capacité à transformer n’importe quel phénomène naturel ou univers mythique significatif en une suite d’objets ou d’images signalétiques réunis dans des associations artistiques pertinentes. Elle a une façon bien personnelle de montrer, par analogie ou métaphore, les zones poétiques inattendues qui se dégagent des sujets, des bricolages, des signes et des matériaux qu’elle propose dans ses œuvres. Et pour elle, ce n’est jamais la nature de l’objet spécifique qui est à appréhender, mais plutôt la nature de son fonctionnement dans un certain système. Ce système réfère le plus souvent à la mémoire, à des rites ou à des façons de faire ancestrales propres à des activités humaines en lien avec ce qui vit dans la nature.
Grâce au télescopage de formes ou de textures agrandies et à une approche ludique, les images et constructions de Lise Labrie nous permettent de glisser d’une allusion ou d’une référence à l’autre dans l’exploration d’univers métaphoriques, tout en nous offrant différentes possibilités de lectures.
Dans l’exposition Les leçons du saumon1 présentée au Musée du Bas-Saint-Laurent (MBSL), ces différentes lectures renvoient au texte de l’écrivain et poète français Serge Pey2, avec qui elle a déjà collaboré, et qui sert ici de trame à cette exposition. Le saumon comme symbole et motif iconique a aussi déjà été exploité par l’artiste dans l’œuvre de verre (Art public) qu’elle a réalisée dans l’espace bibliothèque de la Maison de la culture de la ville de Matane.
Serge Pey situe ce poisson comme l’animal métaphorique de la condition humaine. Le texte est présenté à la verticale dans l’une des images photographiques de l’exposition : le profil agrandi du corps d’un saumon juxtaposé à cette autre image mettant en évidence les écailles de la peau de ce même saumon. Il est aussi reproduit au recto du catalogue en éventail de l’exposition. Au verso, l’image imprimée et sectionnée de la queue d’un saumon prendra, par ce procédé et nos manipulations, différentes formes à partir de la mouche à pêche (l’appât) reliant par le trou les pages cartonnées de ce catalogue inusité.
Tout le système de fonctionnement intrigant de ce texte d’action et de cette exposition est déjà présent dans cet artéfact dont des exemplaires sont présentés à l’entrée de la salle et aussi en vente au musée. Pour amplifier le fait « que l’analyse de l’impossible crée le possible », comme le dit Pey dans la troisième leçon, l’artiste a jeté au sol un groupe de tiges en bois, toutes entremêlées comme ce jeu de hasard et d’habileté bien connu (le Mikado), autour duquel se retrouvent les autres éléments de l’installation.
Sur l’un des murs, des images photographiques grand format de la chair rose du saumon ; déposées sur un autre mur, des baguettes assemblées servant traditionnellement à la cuisson de la chair étirée de cet animal ; ailleurs, des peaux de saumon sur une table de séchage bricolée, et au dessus, des chutes d’écorces de bouleau agrandies numériquement qui rappellent cet ancrage au territoire dans lequel le saumon autant que l’artiste amorce son processus, sa transformation et ultimement le parcours à entreprendre.
Le secret de ce parcours est dans l’œil du saumon ou dans l’œil de l’artiste, et aussi dans les yeux de ceux qui savent regarder. Pour ceux qui amorcent l’impossible, « il y a toujours des chemins dans l’obscur et l’impénétrable » comme le dit Pey. Et selon la méthode de la deuxième leçon, « avant de remonter la cascade le saumon se projette en l’air et procède en une fraction de seconde à une photo analyse de la cascade qu’il utilise pour procéder au bond qui lui permettra de dépasser la chute ».
Comme le saumon pour vaincre, l’artiste joue dans son installation avec les couleurs de l’environnement, avec la poésie des signes amplifiés de sa thématique en y incluant les traces de la nature. Et si l’artiste est un pêcheur, elle (Lise Labrie) devient le poisson qui pêche. Comme l’a écrit en 2008 Serge Pey en parlant de Labrie, c’est une « artiste chaman, pêcheuse d’eau et de perle, chasseuse de caribou, elle pose les signes sur des écorces de bouleau qui servent à traverser nos rivières ». Ainsi est mis en évidence le processus, le système artistique personnel : « Quand le saumon parvient en haut de la cascade, il ne supprime pas la cascade », il (elle) la vit tels « les passagers mortels de l’éternité » de la huitième et dernière leçon du saumon de ce magnifique texte.
C’est évidemment une autre bonne exposition de Lise Labrie, et c’est aussi un texte fort instructif où il est possible de faire des parallèles avec la démarche artistique autant qu’avec le parcours de tout homme confronté à lui-même : « Le saumon maître de l’impossible est la condition de sa liberté ».
L’exposition Les leçons du saumon de Lise Labrie est présentée jusqu’au 18 mars au Musée du Bas-Saint-Laurent, à Rivière-du-Loup.
1. Exposition déjà présentée dans une version différente au centre d’artistes Le Lobe de Chicoutimi en 2008.
2. Serge Pey est un écrivain et poète français né à Toulouse en 1950. Créateur de poésie d’action, il rédige ses textes sur des bâtons avec lesquels il réalise des performances. Maitre de conférence, il dirige le séminaire de poétique d’action et l’atelier de poésie du CIAM.