Le féminisme fait face actuellement à un cynisme grandissant parmi la population. Concept complètement « out » ou doctrine aliénante, les jugements sur ce mouvement s’incrustent, s’intensifient et suscitent différentes remises en question au sein de la communauté féministe. Sommes-nous dépassées ? Notre discours est-il toujours adapté à la réalité actuelle ? Pourquoi sommes-nous encore à contre-courant ?
Selon nous, la méconnaissance du mouvement est notre principal adversaire. Nous luttons continuellement contre la perception négative selon laquelle les féministes sont enragées, castrantes, en soif de contrôle, et revendiquent l’exclusion totale des hommes. Bien que le mouvement soit pluriel et multiforme, aucune revendication des regroupements féministes ne semble justifier une telle vision négative. En effet, au sein même du mouvement, plusieurs courants de pensée présentent des opinions divergentes. Que ce soit en ce qui concerne les causes de l’inégalité ou les moyens pour l’enrayer, plusieurs questions font débat à l’intérieur de la communauté féministe. Néanmoins, les membres de ce mouvement semblent avoir à cœur une même revendication : le bien commun. Loin de vouloir prendre le contrôle sur les hommes, les féministes luttent pour que chaque être humain se libère des stéréotypes sexistes qui le confinent à un genre et au rôle s’y rattachant, afin que chacun puisse décider librement de sa propre identité.
Cela dit, notre impopularité serait-elle causée par des revendications dépassées, injustes ou simplement utopiques ? Comme certains le prétendent, pouvons-nous croire que l’égalité est atteinte ? Ou que le féminisme est allé trop loin ?
Pourtant, les victimes d’agression à caractère sexuel demeurent en grande majorité de sexe féminin et les agresseurs sont à 98 % masculins. Certains vont croire que les agressions sont des cas isolés, non représentatifs de l’ensemble de la population. Cependant, selon certaines données, une femme sur trois a été victime de ce type d’agression avant d’atteindre l’âge de la majorité. Impossible non plus de prétendre que les agresseurs sont simplement des inconnus « psychopathes » puisqu’il est reconnu que dans la majorité des cas, la victime connait son agresseur et que seulement 3 % d’entre eux présentent des troubles de santé mentale. D’autres vont culpabiliser les victimes en accusant leur comportement et en leur attribuant la responsabilité de cette violence sexuelle. Toutefois, selon la définition même de l’agression, la victime n’est pas consentante aux actes posés. En assujettissant « une autre personne à ses propres désirs », l’agresseur brime les droits fondamentaux et devient l’unique responsable de ces gestes de violence. (Table de concertation sur les agressions à caractère sexuel de Montréal, 2007).
Pourtant, le phénomène de la pornographisation de l’espace public nous semble porteur d’éléments profondément stéréotypés. Le message véhiculé sous-tend que la femme doit être sexy, séductrice et disponible sexuellement. Voilà le « Girl Power » ! Pouvons-nous accéder à d’autres pouvoirs que celui de la séduction ? Croire au potentiel de chacun nécessite la reconnaissance de son être à part entière qui ne peut être restreint à l’identification unique d’un corps sexuel. Certains diront que chaque femme est libre d’utiliser la séduction à sa guise. Néanmoins, cette pression sociale et cette culture populaire peuvent conduire les femmes à tenter d’intérioriser ces stéréotypes pour être acceptées, voire aimées.
Pourtant, la plupart des lieux décisionnels sont majoritairement occupés par les hommes. Plusieurs consultations ont actuellement lieu pour comprendre les raisons pour lesquelles les femmes accèdent si peu à ces instances. Face à ce phénomène, il serait facile de conclure uniquement par des réponses relatives aux goûts et aux intérêts. Toutefois, on se rend compte que les responsabilités familiales des femmes sont difficilement compatibles avec les exigences de ces implications et que leur manque de confiance engendre une impression de ne pas être à la hauteur de ces responsabilités.
Pourtant, encore aujourd’hui, le gouvernement conservateur remet en question un des acquis importants du mouvement féministe : le droit à l’avortement. Vu par certains comme un refus à la vie, ou pour d’autres, comme un moyen de contraception exagérément utilisé, le droit à l’avortement est continuellement remis en cause. N’est-ce pas un choix de société de laisser les femmes être sujets à part entière et décider elles-mêmes pour leur vie ?
Ajoutons à cela, la pauvreté touchant majoritairement les femmes, la tendance à sous-estimer et à dévaloriser les postes typiquement féminins, l’équité salariale non atteinte dans certains types d’emploi, les difficultés de la conciliation travail-famille.
Dans un tel contexte, le mouvement des femmes a jugé important « de faire le point sur les principaux enjeux féministes actuels » (FFQ, 2012) en lançant les États généraux du féminisme. Cette consultation nationale tentera de « repenser et renouveler nos priorités et moyens d’action pour faire face aux défis d’aujourd’hui ». Cette réflexion débutera ce 8 mars, Journée internationale des femmes, sous le thème « Le féminisme ?… plus actuel que jamais ! ». Des consultations se tiendront dans tout le Bas-Saint-Laurent et un grand rendez-vous régional aura lieu à l’automne 2012. Ces rassemblements auront certainement un effet considérable sur notre solidarité et sur le renforcement de notre mouvement. Et qui sait ? Peut-être arriverons-nous un jour à cette égalité tant souhaitée où le féminisme n’aura plus sa raison d’être ?
L’auteure est intervenante au Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de Rimouski.