Champ libre

À la Pastèque, une filière argentine et une nuit mémorable à New York

Par Michel Labrie le 2012/03
Champ libre

À la Pastèque, une filière argentine et une nuit mémorable à New York

Par Michel Labrie le 2012/03

Au moment où paraît le troisième tome des bandes Macanudo de l’Argentin Liniers, la maison d’édition La Pastèque de Montréal y va de la publication des bandes d’un autre Argentin, Pablo Holmberg alias Kioskerman. L’album s’intitule Éden. Faut-il le dire, cet éditeur ne cesse pour autant de nous proposer des artistes québécois dont le trifluvien Pascal Blanchet qui nous ramène au New York des années 40.

Il n’est guère facile de décrire la substance d’Éden tellement l’univers qu’il présente est particulier. Une chose est sûre, ce livre au trait simple est drôle et touchant. Il rend compte de l’étonnement éprouvé face au dérisoire et à la banalité. Bien que la bande soit structurée sur une planche de quatre vignettes successives, il ne faut pas s’attendre à la tombée d’un gag à la dernière vignette, mais plutôt à des impressions soudaines et ténues que transmet ce monde tranquille parcouru par le petit roi d’une forêt mystérieuse et fantastique. En ce sens, Holmberg réinvente le « strip » tout en mettant l’accent sur l’émotion et l’émerveillement, voire le questionnement. Son univers est peuplé d’êtres attachants et loufoques, d’animaux et même d’étoiles qui l’illuminent. De l’ensemble, au-delà de chacune des bandes, ressort une tristesse bercée par le charme des couleurs, des décors et des personnages. Le langage de la vie quotidienne se conjugue à la fantaisie et au mystère. Ce petit monde respire d’une force quiète et douce. De plus, La Pastèque a fait de ce beau petit livre, un bel objet…

Macanudo nous revient donc avec un troisième album. Liniers poursuit dans la même veine des deux tomes précédents avec son style propre aux saynètes souriantes et parfois grimaçantes où l’absurde laisse surseoir une certaine inquiétude. La distribution est brillante, allumée, haute en couleurs. Toute une galerie de personnages nous est offerte : peluches, manchots, petites filles, lutins, grenouilles, Le chat Fellini, l’olive Olivierio, l’ourson Madariaga, Z-25 le robot sensible, Lorenzo et Teresita, etc., peuplent un univers qui prend le lecteur au dépourvu. Le style attachant de Liniers est rafraîchissant, ingénu et devrait connaître la contagion.

Mais La Pastèque, qui traduit et édite des auteurs étrangers au succès éventuel, est d’abord une maison d’édition vouée aux meilleures productions québécoises de créateurs de bande dessinée. L’un de ceux-ci, illustrateur de son métier, Pascal Blanchet, nous offre son cinquième album intitulé Nocturne. Ce livre remarquable suit en parallèle trois personnages qui vivent chacun un drame intime à New York qui étouffe sous la canicule d’une soirée de l’été 1948. Tard dans la nuit qui peine à aboutir au jour, une chanteuse, dont on connaîtra l’histoire, offre en direct In the Still of the Night de Cole Porter. La prestation est entre autres syntonisée par une jeune serveuse dans un restaurant plutôt tranquille et par un jeune écrivain de Brooklyn, en quête de succès. Ces trois personnages campent leur tragique dans une suite ininterrompue d’élégantes images, telles des toiles nous transportant dans cette période mémorable en retraçant et magnifiant la beauté du « design » de cette époque axée sur l’esthétisme. Les compositions architecturales, l’art déco, les décors, les costumes, les véhicules proposent une douce et feutrée nostalgie de ces années de l’après-guerre. Les mots y sont rares, car les images suffisent à elles seules pour raconter. Ce bel album superbement relié est à déposer sur la table du salon.

Ainsi, trois beaux livres s’ajoutent au catalogue de La Pastèque, riche de variété, d’inusité et d’originalité pour le plus grand bonheur de la bande dessinée et de ses amateurs.

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Lise Labrie, artiste chaman